Depuis le procès, rien n'allait plus. Il se sentait complètement largué et inutile. @Astrée Herrera continuait sa vie. Tous les matins elle se levait de bonne heure, prenait une douche, sentait bon le parfum, enfilait sa robe de médicomage et partait travailler. Une routine morose, mais que Marcus enviait profondément. Rester dans le lit et observer la silhouette de sa compagne disparaitre dans l'angle de la porte, lui faisait toujours un pincement au coeur.

Il était inutile. Bon à rien. Alors pour éviter de se morfondre et de ruminer, Marcus passait son temps à faire du sport. Transpirer. Il sortait de l'appartement, et allait courir bien 2h dans les quartiers de Londres. Il rentrait les muscles tétanisés, buvait 1L d'eau et prenait une douche bien chaude. Mais rapidement, la solitude le rattrapait. Les mauvaises pensées aussi. N'avait-il pas fait une sombre erreur en menant Gaïus Crowley au procès ? Lui qui avait cru avec ferveur dans le système juridique de ce pays. Voilà qu'il s'était pris une bonne claque.

Il n'avait rien dit à ses parents. Une mise à pied ... c'était la honte assurée. Lui qui s'était pendant des années évertué à être un Auror respectable. Le meilleur. Il avait eu comme figure la terrible et talentueuse Auror Riopse. Que devait-elle penser de lui désormais ? Heureusement, elle ne travaillait plus au sein du Ministère. Mais son fils si. D'ailleurs, il n'avait eu aucune nouvelle de Basil Jenkins. L'un de ses plus proches acolytes après Loup. Il avait perdu tous ses repères et ses fidèles amis lui tournaient le dos.

Sombre crétin. Alors pour ne pas perdre la tête, il se mettait à cuisiner. A beaucoup cuisiner. Et principalement de la viande. Etrangement, il avait un besoin cruel de matrounier de gros pavés de steak bien saignant. Pourtant, il n'avait pas été mordu par un quelconque loup durant son long séjour dans la forêt interdite. Astrée ne devait pas voir tous ces plats à base de viande d'un très bon oeil. Mais elle ne lui disait trop rien. De peur qu'il se vexe, ou s'emporte, ou sombre dans une dépression encore plus profonde. Niveau sexe, la libido de Marcus était au point mort. Ca faisait bien trois semaines qu'ils n'avaient pas fait l'amour. Et Marcus s'en voulait. Parce qu'il voyait bien qu'Astrée le désirait encore, mais lui avait l'impression que la performance serait bien maigre par rapport à ses attentes.

Et il attendait le retour d'Astrée. Qu'elle anime cet appartement vide, parfois fréquenté par un garçon étrange. Un certain @Javier Stein qui venait squatter les lieux. Un garçon de 17 ans tout au plus, qui s'était fait renvoyer de l'école pour avoir bu en classe. Une histoire de ce genre. Marcus le dévisageait, mais ne prenait pas de plaisir à lui parler. En fait, il l'évitait. L'appartement d'Astrée était immense et permettait aux deux hommes de ne pas trop se fréquenter. Et quand ils se trouvaient dans la même pièces, Marcus tentait d'entamer une conversation. Mais à part balancer des banalités qui n'intéressaient guère Javier, il n'arrivait à rien.

Alors il finissait par sortir Opal, son berger suisse et rentrait chez lui. Heureusement, il n'avait pas mis sa maison en location. Là il poussait de la fonte dans le garage pour encore transpirer. Mais quand son corps criait à s'en déchirer les muscles, il s'arrêtait. Lisait, puis astiquait la maison de fond en comble, tournait dans le jardin à la recherche de Gnomes ou de mauvaises herbes, puis rapidement le tourment venait torturer son esprit. Alors, instinctivement, ses mains parcouraient les placards à la recherche de bouteilles. Du vin ou de la bière. Un whisky pur feu peut-être ? Mais rien.

Suite au procès, Astrée avait bien prit soin de vider tous les placards. Et Marcus, la tête dans le gaz, ne s'était pas occupé des courses. Il passa devant un miroir. Les traits de son visage étaient tirés, sa barbe de trois jours ornant sa mâchoire carrée montrait qu'il se laissait aller. D'un air las, alors que la nuit commençait à tomber, il quitta sa maison en quête d'un bar. Mais dans les rues de Londres, loin des sorciers. Loin de cette tourmente qui l'avait détruit.

Il trouva un bar miteux et presque insalubre. En temps normal, jamais il n'y aurait mis les pieds. Dans ses bons jours, Marcus optait généralement pour des bars irlandais ou écossais. Une ambiance boisée et chaleureuse, où l'on servait de la Guiness en pinte et de la musique joyeuse. Ici, c'était tout l'inverse. Le bar était sombre, miteux et le sol collait sous la semelle. La clientèle n'était qu'un tas d'ivrognes qui gémissait d'un ton plaintif sur les malheurs du monde. Au mur, était accroché une télévision où la BBC déblatérait toujours les mêmes informations. Le monde va mal.

Marcus se posa au bar, les coudes sur le zinc. Le barman le toisa d'un air gauche, renifla bruyamment avant de poser son chiffon sale sur l'épaule. C'était un homme rustre, qui n'était clairement pas exigeant sur la clientèle vu l'entretien de son bar plus qu'approximatif.

- Une pinte de Guiness s'il vous plait.
- Y'a pas ça ici m'sieur ! D'la Chouffe ou d'la Pete's Wicked Ale.
- Va pour le deuxième choix.

D'un air blasé, les épaules basses, Marcus se retourna vers la boite électronique.

L'écrivain britannique Alan Sillitoe, l'un des "Angry Young Men" de la littérature britannique des années 1950, est mort dimanche à l'âge de 82 ans.

La bière arriva sous le nez de Marcus. Le liquide jaune pisse ne lui disait rien qui vaille. Il but une gorgée, fit la grimace et soupira. Dégueulasse comme il s'y attendait. Mais pour le prix que ça coûtait, il n'allait pas faire la fine bouche. Et puis il était là pour se bourrer la gueule et oublier sa misérable petite vie. Au bout de quatre pintes et la vessie pleine, Marcus commença à voir le monde tourner. Il commande une bouteille de whisky pour mettre fin à sa souffrance morale, mais quelqu'un l'attrapa par le col pour le tirer de son ivresse.

En temps normal, jamais Loup n'aurait pu trainer Marcus dans les toilettes crasseux d'un bar. Il était robuste, bien plus fort et plus grand que Loup. Marcus avait la carrure d'un cascadeur, ou d'un rugbyman ... ce genre de montagne de muscles terrifiantes qui ne laissait jamais indifférent. Mais l'alcool qui infusait dans ses veines, l'empêchait de voir les choses claires et de tenir sur ses jambes.

Il bredouilla des propos incompréhensible, lorgnant Loup d'un oeil à moitié fermé, tombant presque dans ses bras. Mais au lieu de l'accueillir comme un bon vieil ami, ce dernier en profita pour lui asséner un violent coup de poing dans le ventre, pour dans la mâchoire. Marcus recula de plusieurs pas, tenta de se rattraper à n'importe quoi et glissa sur le sol poisseux. A terre, il porta une main à sa mâchoire, sentant à peine le courant électrique qui le traversait. L'alcool permettait d'adoucir la douleur, même le coup porté allait clairement laisser une trace.

- Mais que ... qu'est-ce que ... tu fous ... ici, toi ?

Bredouilla Marcus en se laissant redresser par Loup qui le tenait par le col. L'ancien Auror puait l'alcool à plein nez. Le coup porté au ventre lui donna soudainement la gerbe, et il se retourna vers un lavabo bouché pour vomir dedans. La scène était pitoyable. Les mains accrochées aux bords du lavabo, il leva son visage vers la glace grignotée par la rouille. Il transpirait, le teint blafard, il n'avait rien de l'attitude d'un homme puissant et beau.

- Faut que j'pisse ...

Il se retourna vers un urinoir et peina à tirer sur sa braguette. Il pissa devant Loup, sans la moindre gêne.

- Tu ... tu veux boire ... avec moi ? Rooooh, si c'est pas trop mignon ça !

Il se retourna et referma sa braguette sous les yeux de Loup d'un air de défis. Ca faisait du bien et il reprenait doucement ses esprits. Il tapota le dos de Loup et esquissa un sourire espiègle. Jugeant presque son ami.

- Revenir après un mois de silence. Après m'avoir demandé de ne plus t'approché parce que j'ai ruiné ta carrière ... et la mienne par la même occasion ! Et voilà que tu redébarques pour me foutre une branlée. J'lai peut-être mérité ... mais toi, tu crois que t'es qui hein ? Que t'as rien à te reprocher ? J'ai pas besoin d'un compagnon de beuverie. J'suis venu ici pour me souler tranquillement. Loin des regards. Loin de tout ce merdier qui pourri ma vie. Alors soit gentil, et va voir ailleurs si j'y suis.

Il tapota l'épaule de Marcus et passa la porte pour se rediriger vers le bar où une bouteille de whisky entière l'attendait.

Avant qu'il ne passe la porte, Loup vint lui barrer la route pour le prendre par le col, une seconde fois, le plaquant au mur. Mauvaise habitude le bougre ... Marcus esquissa un sourire mesquin. Il puait l'alcool, s'en était écœurant. Il ne pouvait pas en vouloir à Loup. Pas vraiment. Quoique ... il lui en voulait de ne pas avoir fait les choses à sa manière. Il l'avait soutenu lors de l'affrontement contre Gaïus, alors qu'au fond de lui, il savait que c'était une mauvaise idée. Jamais il n'aurait du se plier au caprice de son ami. Car oui, malgré la colère et la rancœur, Loup restait son ami.

Marcus était quelqu'un de fidèle et il ne tirait pas un trait sur une amitié de longue date. Même si la vie l'avait écorché. Même si Gaïus avait été plus malin et plus fort qu'eux. Marcus avait surtout cru au système judiciaire de ce pays. Il avait cru que la loi serait plus forte que l'argent, que l'influence, que les petites magouilles de bas étages. Mais même si son nom était souillé, que sa réputation en avait pris un coup et que Loup avait été radié de l'ordre des Aurors, Gaïus ne brillait plus de la même manière. Il était passé devant une cour de justice, et malgré tout le nom Crowley ne sonnait plus comme avant. Certains sorciers qui avaient suivi l'affaire se questionnaient. S'interrogeaient même ... pourquoi deux Aurors auraient poursuivit en justice un Professeur de Potions aussi impeccable que Crowley ?

Même si le Juge avait clamé Crowley innocent, le doute s'était installé. Non, ce qui foutait Marcus en rogne, c'était son inutilité récente. Il ne savait pas encore quand il pourrait reprendre du service. Et ne rien faire de ses journées était particulièrement lourd à supporter pour un homme de sa trempe. Il était bien trop saoul pour riposter ou pour se défaire de l'emprise de Loup. En temps normal, jamais le comte n'aurait pu agir de la sorte. Marcus était bien trop robuste, trop grand, trop ... trop.

- Mon môme ...

Comment avait-il su ? Astrée n'avait pas encore le ventre rond. Ca se voyait à peine. Mais il était vrai qu'il allait être père. Et cette idée là le minait terriblement. Au départ il s'était réjouis. Mais au fil des jours, des semaines, son moral en avait pris un coup. S'il reprenait du service, il partirait en mission sans plus attendre. Car il ne vivait que pour ça : le danger. Combattre les forces obscures de ce monde, les sorciers maléfiques qui pullulaient à travers l'Angleterre. La magie noire était interdite pour de nombreuses raisons, mais ça n'empêchait pas de nombreux sorciers d'en pratiquer. Même lui avait été tenté plus d'une fois. Même Loup, sous la colère, en avait usé.

- De l'espoir ?

Il targua Loup d'un air circonspect. L'oeil trouble, l'air un peu hagard, Marcus n'avait plus d'espoir depuis le procès. Il s'était envolé d'un claquement de doigts. A la requête du comte, l'ex-Auror haussa ses larges épaules. Il était vrai que cet endroit était miteux et peu recommandable.

- Allez, je te suis.

Taciturne, les mains dans les poches de son jeans, Marcus ne pipa mot pendant le trajet. Les deux hommes traversèrent de larges rues bondées, puis des plus calmes. Se perdre dans la foule Moldu lui faisait du bien. Il avait l'impression d'être oublié, de voguer dans un autre monde et d'être enfin libéré des chaines qui l'oppressaient. Enfin, Loup indiqua un pub bien plus sympathique et accueillant. Quand ils entrèrent, ils furent frappés par une chaleur agréable d'un bar bondé et bruyant. L'ambiance était là, simple et joviale. De nombreux jeunes anglais s'entassaient au bar pour commander des pintes de bière. Les tables étaient toutes occupées par des groupes de tous âges, picorant dans des bols de chips ou de cacahuètes. Au fond, des étudiants enjoués par l'alcool jouaient aux fléchettes. Ca parlait fort, ça rigolait, et les barmans enchainaient les commandes, glissant les pintes ou les cocktails sur le zinc.

Marcus tituba légèrement, mais se reprit rapidement, un sourire aux lèvres. Il aimait bien cette ambiance conviviale et l'inconscience des Moldus. Bien sûr, ils avaient les mêmes problèmes que les sorciers. Les problèmes communs ... les guerres, la famine, le chômage, l'inflation, les engueulades de couple, la politique véreuse, le patron qui refuse une augmentation, l'adolescent qui se révolte contre ses parents ... mais ils n'avaient pas à se soucier du monde magique. Car les sorciers les protégeaient de tout ça. Du moins, quand ils y arrivaient.

- Là, une table vient de se libérer. Dépêche toi.

Il attrapa Loup par l'épaule, un peu brusquement, puis traversèrent le bar en rentrant le ventre pour ne pas coller les autres clients. Marcus posa sa veste sur le tabouret. Une table haute en forme de tonneau, deux énormes verres de bière vide. A peine installés, une jeune femme d'une vingtaine d'années, le visage couvert de pircing arriva pour prendre la commande et débarrasser la table.

- Une pinte de Guiness s'il vous plait.

Son corps encaissait des litres d'alcool depuis plusieurs heures. Mais Marcus ne songeait pas au lendemain, à la bouche pâteuse, à la gueule de bois, à l'air sévère que lui lancerait @Astrée Herrera. Il se pencha doucement vers Loup, les yeux mi-clos, l'air un peu nigaud.

- Bien plus sympa cet endroit que l'autre bar. Les Moldus s'amusent drôlement bien ... haaa cette inconscience ... j'aimerai l'avoir parfois. Mais impossible avec le monde dans lequel nous vivons.

Les boissons arrivèrent. La serveuse esquissa un sourire à Marcus et il lui rendit de tout le charme dont il était capable. Il aimait charmer, draguer, voir que la gente féminine succombait si facilement. Sauf quand Astrée était présente. Il évitait, il n'était pas totalement fou. Marcus trempa ses lèvres dans sa Guiness, puis la reposa avant de se caler un peu mieux sur le tabouret.

- Tu parlais d'espoir toute à l'heure ... mais je t'en prie, ne te bats pas pour moi. Tu vas perdre ton temps. Je bois simplement pour oublier ces journées à rallonge qui se ressemblent toutes. Je suis un homme d'action. Je pense que c'est la pire punition qu'on ait pu me faire dans toute ma carrière. Mais je me plains et toi ... toi tu ne pourras plus jamais exercer ce sublime métier. Alors je bois aussi pour oublier ce que je t'ai fait. C'est difficile de te regarder dans les yeux, sans avoir picolé ... finalement du courage, j'en ai peu. Terrasser un Golem, ou une horde d'Inféris ne me pose pas de problème. Mais assumer mes actes face à mon meilleur ami, voir la colère et la déception dans son regard, c'est difficile.

Il baissa son regard vers sa bière, puis se mit à glousser un peu stupidement, les épaules basses.

- Tsss ... il m'a fallu ça pour me rendre compte que le système est pourri. Et tu sais quoi, le pire ? C'est que je n'ai qu'une seule hâte ... retourner au bureau et valider des missions. Y'a pas un truc qui cloche là dedans ? Je suis terriblement désolé de tout ce que je t'ai fait subir avec ce procès ... Et que cet enfoiré de Crowley puisse encore enseigner à Poudlard malgré tout.

Le bruit du bar enveloppe Marcus telle une berceuse réconfortante. L’alcool lui monte à la tête et il faut dire qu’il n’a plus l’esprit très clair. Il n’est pas du genre à boire d’habitude. Un petit verre de vin en compagnie d’Astrée. Pour les moments intimes. Ou bien une pinte de bière en bonne compagnie. Avec Basil, Bill ou Loup. Quoique … est-ce que la compagnie de Loup est-elle encore agréable ? Il en doute. Marcus a l’impression d’avoir brisé leur amitié avec ses convictions. Mais Loup n’est pas totalement irréprochable dans cette histoire. Ils ont beaucoup perdu.

Quand Marcus observe tous ces Moldus ivres par l’alcool, la fin de journée et les conversations bruyantes et chaleureuses, il se rappelle le froid mordant de la forêt interdite. Que cette vie, aurait pu se terminer là bas. Il entend ce que lui propose Loup, mais son visage s’assombrit aussitôt.

« Ce que j’en pense … » dit-il d’une voix rauque et sombre.

Le visage d’Astée lui apparaît. Son ventre rond. Et puis Alwyn également. Leurs lettres échangées et tous les espoirs que ce gamin repose en Marcus. Il sait qu’il n’est plus tout seul désormais et qu’affronter le danger ne lui est plus permis. Il aimerait reprendre les rennes de sa vie, accepter la proposition de Loup … mais il s’est enlisé dans quelque chose qu’il s’était pourtant bien résolut de fuir toute sa vie. Une vie de famille … Il passa une main fatiguée sur son visage, bu une gorgée et posa lourdement sa pinte sur la table poisseuse.

« Que tu ne vis pas avec une femme du nom d’ @Astrée Herrera. J’ai passé un mois dans la forêt interdite à détruire des camps de braconniers. Loin d’elle, proche du danger. On attend un enfant … je ne sais plus si tu es au courant … enfin bref … j’imagine que m’éloigner à nouveau risquerai de créer une nouvelle crise. »

Il lâcha un soupire. Il était fatigué et abrutit par l’alcool, mais également par tous les événements passés. Le procès avait été un coup de massue difficilement surmontable, mais la mort de Niku, si brutale, l’avait profondément marqué. Il n’en avait jamais parlé à personne. Seuls Basil et Elena étaient au courant, ayant vu la mort de Niku en temps réel. Mais ils n’en avaient pas reparlé avec Marcus. Elena avait tenté plusieurs fois d’aborder le sujet, mais Marcus s’était à chaque fois muré dans le silence. Il se fermait toujours comme une huitre lorsqu’il était question de parler de ses sentiments.

L’alcool permettait de lever cette barrière, enfin depuis longtemps. Marcus haussa ses larges épaules avant de boire une nouvelle lampée de sa boisson amère.

« La vie est si … fragile mon ami. »

Ca sortait un peu de nul part. Il leva ses yeux bleus vers Loup et un sourire fatigué se forgea entre ses lèvres.

« Quand j’étais en mission le mois dernier, tu as sûrement du l’entendre, j’ai arrêté Hégémone. L’un des piliers des braconniers … un combat terrible. J’ai été rejoint par Basil et Elena. D’excellents Aurors … mais … j’ai commencé cette mission avec le professeur de Vol de Poudlard. Il a perdu la vie sous mes yeux. Pourfendu par une lance, la tête tranchée. Cette vision, je l’ai en tête depuis … des semaines. Je n’ai rien pu faire Loup. C’était si soudain. Je n’ai pas pu le protéger, même en connaissant les risques que l’on prend dès qu’on part en mission. Puis, il y a eu le procès … j’ai cru que malgré une victoire, les choses iraient mieux. Mais finalement, rien ne va. Et je me questionne aussi entre Astrée et moi … sur le fait de devenir père … lorsqu’on peut perdre la tête en un claquement de doigt parce qu’on a eu le malheur de tomber sur une sorcière à moitié folle. »

Il parlait d’Hégémone. Des mages noirs, il y en avait à la pelle dans le monde. La magie avait ses bons côtés, mais aussi ses faces les plus sombres. Et un grand nombre de sorciers aimaient aller à l’encontre des règles. Car la magie donnait l’impression d’avoir une forme de pouvoir tout puissant, défiant les règles de vie. Et ça rendait les gens cupides.

« Bref … je ne pense pas être en mesure de quoique ce soit en ce moment … »

Se lamenter sur son propre sort, ce n'était pas dans les habitudes de Marcus. Il était un homme fort, solide, inébranlable. Pendant longtemps il avait combattu pour faire appliquer la loi, faisant confiance au système judiciaire de ce pays. Mais aujourd'hui, il avait l'impression que tout s'écroulait. Que son univers tout entier n'était qu'un tissu de mensonges. Le procès lui avait donné le coup de grâce. La fragilité de son esprit le rendait mou et pitoyable. Peu de gens l'aurait reconnu dans la rue.

Les yeux fixés sur sa boisson, il avait l'impression de perdre le contrôle de sa vie. Et peut-être que Loup avait raison après tout. Qu'il était temps de mettre l'alcool de côté et de reprendre sa vie en main. Pour son enfant à naître, pour Astrée. Elle le méritait tellement, car il aimait cette femme. Bien que le doute d'être un bon père ne faisait que croitre en lui. Comment avait fait Loup, toutes ces années de tourments, pour élever sa fille ? Comment avait-il fait pour ne pas douter et diriger toute une région, tout en acceptant les missions périlleuses du Ministère ? Comment son couple avait-il fait pour tenir ? C'était un grand mystère.

Un sourire en coin se dessina sur les lèvres du sorcier. Il poussa un soupire, repoussant légèrement sa pinte vers le centre de la table.

- Tu as raison, cette saleté ne m'aidera pas.

Il avait juré devant Astrée qu'il ne toucherait plus à une seule goutte d'alcool. Et pourtant, il s'était réfugié dans les bars pour se mettre des mines pas possibles. Il avait caché tout ce petit manège, mais la Médicomage ne devait pas être dupe. Les gestes, les regards et parfois l'haleine le trahissait. Il devait prendre cette discussion pour arrêter les conneries et se ressaisir. Mais il savait aussi que ça ne serait pas aussi facile.

- C'est bon de te savoir là mon ami ... dit-il en tapotant le dos de Loup.

Après le procès et le long silence qui s'était imposé entre eux, Marcus avait eu l'impression que leur amitié s'était brisée à tout jamais. Qu'il ne reverrait probablement plus le visage de Loup ou bien dans un contexte bien différent. Savoir qu'il pouvait encore compter sur lui était important.

Quand enfin Loup reprit la parole de manière un peu plus véhémente, Marcus se mit à ricaner bêtement. Il se redressa, un sourire taquine aux lèvres, dévoilant des canines blanches plus développées que la moyenne.

- Tu ne m'as pas écouté ou quoi ? J'ai dit qu'on a réussi à la coffrer. Plus besoin de courir après ses sbires ... elle est à Azkaban. Mais il en reste d'autres. Faire justice soi-même ... tu as bien vu ce que ça donne. Non, je retournerai dans la forêt interdite à la seule condition que la Brigade me reprenne. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Mais je vais me reprendre en main Loup. Tu as raison ... au moins pour l'avenir de mon gamin à naitre.

Marcus finit par se lever. La chaise racla le sol et il jeta quelques pièces sur la table en pourboire pour la serveuse. D'un mouvement de tête, il fit comprendre à Loup qu'il était temps de quitter les lieux. Prendre l'air. En sortant, une brise légère vint les frapper en plein visage. Il faisait sombre, les ruelles étaient simplement éclairées par des lampadaires lugubres. On pouvait entendre les rires étouffés des clients dans le bar derrière eux. D'un pas tranquille, les deux sorciers marchèrent dans la rue qui faisait face à un grand parc. Ils passèrent un portail en fer forgé, suivant un petit chemin de terre bien entretenu. Les mains dans les poches de sa veste, Marcus observa le ciel sombre. Les nuages empêchaient aux étoiles de se montrer.

- Comment as-tu fait pour surmonter tout ça ? Je veux dire ... la perte de ce procès, mais aussi pouvoir être père, un bon mari, un gestionnaire hors pair d'un incroyable domaine et partir parfois des semaines entières en mission, tout en sachant que tu pouvais ne jamais revenir. Et ... tout ça avec ce que Crowley t'a fait subir.

En voulant affronter Crowley seul à seul, peut-être que cela prouvait que Loup n'avait pas su surmonter toutes ces épreuves. Qu'il avait fini par craquer. Mais Marcus avait toujours vu en son compagnon quelqu'un d'incroyablement calme et organisé. Chose qu'il n'était pas du tout.

- Il faudrait que j'en parle ... à Astrée. Pour ton histoire de Brocéliande. Ca ne me ferait peut-être pas du mal en fin de compte.