Le regard perdu dans la forêt, dans l'obscurité et les profondeurs, je me surprends à me demander si tout ceci en vaut vraiment la peine.

Lorsqu'un braconnier tombe, deux autres viennent prendre sa place. Cela fait plusieurs jours, sans doute plus d'une semaine que je me tue à la tâche, que je les pourchasse sans faillir, mais ils reviennent à chaque fois, plus fort, plus nombreux, plus déterminés. Je n'en peux plus d'entendre les cris des animaux meurtris, je ne peux plus m'arrêter et me reposer sans éprouver de la culpabilité. Ils souffrent, je ne peux prendre ne serait ce que quelques heures de répit, pas tant qu'ils seront en sécurité, pas tant que Poudlard ne sera pas délivré de cette vermine. Je me rends malade à chaque fois que je pense à ce que j'essaye d'accomplir. Autant essayer de vider le Pacifique avec un gobelet en papier. C'est peine perdue. Et pourtant, je continue.

Je ne suis plus un Auror. J'ai donc le champs libre devant moi. Je pourrais tous les abattre avec des sortilèges impardonnable et, pourtant, je m'obstine à rester dans les clous. Pas une seule minute je ne m'abaisserais au même niveau que Gaïus Crowley. Pas un seul instant. Je l'ai déjà fait, et je le regrette encore aujourd'hui. Le regard perdu dans l'ombre, je tourne finalement la tête vers l'horizon qui me tourne le dos. Poudlard me domine, Poudlard m'appelle. Une personne en particulier m'y attends sans doute depuis plusieurs semaines, avide de nouvelles. Il est vrai que je n'ai pas donné signe de vie depuis le procès qui m'a coûté ma carrière et ma réputation. Je suis peut être toujours un comte, à l'immense domaine et reconnu pour son influence et sa puissance, mais je suis aux yeux des sorciers anglais un paria, dont l'esprit troublé a failli conduite un honnête homme entre les murs d'Azkaban. Crowley doit bien rire, maintenant, et je n'ose imaginer le désespoir de mon épouse. J'espère qu'elle ne baisse pas les yeux devant lui... Je me rends compte alors qu'elle me manque terriblement et que je me noie dans la violence et le travail pour en masquer le trouble qui en résulte. Je soupire. De quoi as tu peur, Loup ? Je ne suis plus l'homme qu'elle me reprochait d'être il y a quelques temps. J'ai tenu parole, enfin en partie. J'ai veillé à me montrer plus présent, malgré les problèmes. A croire que la confrontation avec Crowley a réveillé quelque chose chez moi... Même si tout ne va pas bien. Mikko me hait, Aiden également... Il n'y a que Maëlys et Rowena qui me supportent sans le moindre jugement.

Je quitte mon perchoir et me dirige vers le cours d'eau que j'entends à proximité. Après avoir dressé une barrière dissimulatrice autour de moi, je me déshabille entièrement et plonge dans le cours d'eau. Je profite de la fraîcheur de l'eau pour chasser la sueur, la crasse et les courbatures des derniers jours. Je sors de mon sac un petit savon et me frictionne entièrement, de la tête aux pieds. Une fois propre, je me lave les dents, profite pour laver mes vêtements malgré le froid qui me fait frissonner et, une fois prêt, je prends la route vers Poudlard, marchant d'un bon pas. Je peux remercier ma barbe qui me dissimule des regards d'êtres connus. Je croise sur le chemin plusieurs sorciers que je connais, qui étaient en visite à Pré au Lard. Ils passèrent à côté de moi sans me reconnaître. En temps normal, ils se seraient arrêtés, se seraient inclinés et auraient longuement parlé avec moi en espérant attirer une quelconque faveur... Ici, rien, et j'en suis heureux. Cette barbe a beau me gratter, elle m'est utile aujourd'hui.

Je marche donc vers les serres, ne prenant pas la peine de passer par les entrées principales. Je me glisse dans les jardins, caressant un dragon buisson qui s'ébroua sous ma main et je pénètre dans la serre. J'entends quelques voix et je me cache derrière une haie fluorescente pour écouter. Une élève demandait des conseils et mon épouse lui répondait d'une voix douce qui me fit frissonner. Bon sang, cela m'avait manqué. J'attends que l'élève s'en aille et je me redresse. Je marche silencieusement derrière mon épouse et, une fois derrière elle, je toussotte. Elle se retourna et me regarda de haut en bas. Je lui dis, avec un petit sourire gêné : Je ne suis pas beau à voir, je le sais... Et je m'en veux de revenir ainsi comme une fleur... Mais je ne voyais pas comment faire autrement... Vous me manquez, ma chère, plus que tout au monde... Debout face à elle, barbu, vêtu d'habits qui iraient mieux à un vagabond ou a un bucheron, le visage marqué par la fatigue et les blessures, je ne ressemble plus à un splendide jeune comte, mais peut être que cela lui plaira, qui sait ?