Rowena était assise à son bureau, les bras croisés sur la table, le regard fixé sur le bureau du professeur qui semblait attendre patiemment que tous les camarades de la fillette soient partis. Un peu plus tôt, le professeur Crowley lui avait demandé de rester à la fin du cours, ayant probablement remarqué que son comportement n'était pas le même qu’à l’accoutumée. Rowena était plus silencieuse et ne répondait que lorsqu'on l'interrogeait. N'importe qui qui la connaissait savait que lorsqu'elle demeurait silencieuse, c'était qu'il y avait un problème. Et puis, il était peu probable que le regard féroce qu’elle garder dardé sur lui ait pu lui échapper.

Il voulait sûrement lui parler et s'assurer qu'elle n'avait pas l'intention de lui causer des problèmes. Elle avait promis d'être docile et obéissante et de ne pas se comporter avec insolence ou malveillance à l'égard du tortionnaire de son père. Mais elle ne pouvait pas en faire autrement que de lui en vouloir. Cet homme avait fait du mal à la personne que Rowena aimait le plus dans ce monde, enfin l'une des personnes. Rowena aimait toute sa famille. Mais son père était vraiment très important pour elle et il avait été blessé. Cette torture remontait peut-être à douze ans, mais cela ne changeait pas le fait que c'était inacceptable et puis, il avait aussi envoyé son père à l'hôpital, récemment.

Puisqu'il lui avait demandé de rester et qu'elle avait promis d'être obéissante, elle était là à attendre qu'il la sollicite et elle avait bien l'intention de lui répondre sans la moindre insolence. Elle était une Emrys et elle savait se comporter. Mais il ne fallait pas qu'il compte sur une quelconque compréhension ou une quelconque mansuétude. Elle n'était pas capable de lui pardonner ce qu'il avait fait et pour la première fois, son petit cœur avait cessé de ne se forger que d'amour, pour manifester un sentiment se rapprochant de la haine envers un individu. Ce n'était pas ce qu'elle avait envie de devenir, mais c'était quelque chose sur lequel elle n'arrivait pas à avoir le moindre impact. Sa colère était aussi forte que l'amour qu'elle éprouvait pour son père.

J'enseigne depuis bien des années.

J'ai vu passer un très grand nombre d'élèves. Il y avait des enfants motivés, d'autres non, des talentueux, des minables, des introvertis et des extravertis. Chacun constituait à leur façon un défi à relever. Mais, de tous, le plus grand restera sans doute de devoir enseigner à mes propres enfants, ainsi qu'à ceux de mon ennemi.

Loup Emrys est le père de trois enfants, et l'oncle de trois autres rejetons de cette famille française qui aurait mieux fait de rester dans son pays. Depuis la mort de son frère, il a adopté son neveu et ses nièces, les rendant siens aux yeux de la loi. Ils sont tous ici, élèves à Poudlard, et mon devoir est de les mener vers la réussite malgré mes différents avec le comte. C'est pour cela que, bien que je haïsse cette famille, je traite les petits Emrys avec équité et sans jamais chercher à les rabaisser par rapport aux autres. Je les juge par rapport au travail qu'ils me fournissent, et non à cause de leur nom. Pour l'heure, seul Mikko Emrys s'est montré quelque peu querelleur mais il s'est calmé, et je sais que je peux lui faire confiance pour rester dans le droit chemin jusqu'à sa majorité et sa sortie d'école. Je m'engage pour ma part à lui fournir toutes les potions tue loup dont il a besoin.

Rowena Emrys, en revanche... C'est une autre histoire. Elle a toujours été là petite fille sage, la poupée de sa classe, toujours souriante et volontaire, même quand il s'agissait de peler des larves. Cependant, quelque chose à changé. Cela ne date pas d'hier. Depuis quelques temps, elle est plus renfrognée, ne parle plus et je participe plus et, pire que tout, son regard à mon égard frôle l'insubordination. Je devine facilement la raison d'un tel changement de comportement et je peux la comprendre. En revanche, je ne peux accepter qu'elle joue ainsi la petite boudeuse, c'est son avenir qui est en jeu, je ne veux pas lui mettre une mauvaise note de participation sans chercher à la remettre elle aussi dans le droit chemin. Je lui ai donc demandé de venir me voir après le cours.

Lorsque ce dernier s'acheva, les élèves sortirent un par un, tous sauf Rowena Emrys. Je la regarde. Je lis dans ses yeux la même fureur qui brûlait dans les yeux de son père lorsqu'il m'a lancé le sort de l'Imperium. Je devrais me méfier, mais ce n'est qu'une enfant, elle ne ferait pas de mal à une mouche. Elle vint à mon bureau, en traînant les pieds, l'air boudeur. Je l'invite à s'asseoir. Tout en rangeant mon service de découpe d'ingrédients, je lui dis : Mademoiselle Emrys. Vous savez sans doute pourquoi je vous ai demandé de rester ... Et croyez moi quand je vous dis que je connais la raison d'un tel changement de comportement. Je la regarde dans les yeux et lui dis, sans fards : La querelle qui m'oppose à votre père ne vous concerne en rien. Et elle ne doit en aucun cas impacter vos études et votre comportement envers votre professeur. Je me suis engagé auprès de lui a vous traiter avec autant d'équité que les autres élèves, à vous noter en fonction de votre travail. Pour le moment, vous êtes une bonne élève, et je ne veux pas que cela change, sous prétexte que vous prenez trop à coeur cette vieille histoire entre nos deux familles. Me suis je bien fais comprendre ?

Si la fillette noble et fière était parfaitement capable de se montrer humble et docile face à une personne qu'elle estimait devoir respecter, elle avait une force en elle sur ce qui était bien ou mal et une droiture à ce sujet que la plupart des gens ne lui avaient jamais vu exprimer. En effet, il était rare que la préadolescente ait besoin de le montrer, car elle voyait toujours tellement les choses avec positivité qu'il y avait rarement du mépris dans ses actes. Encore maintenant, si le regard envers son professeur était teinté de colère, il ne contenait pas de véritable mépris. Elle était incapable d'une telle attitude envers un professeur.

Aussi, la leçon qu'il lui donna lui sembla-t-elle quelque peu inappropriée. Elle ne doutait aucunement qu'il puisse craindre un tel comportement de sa part. Elle l'avait elle-même craint de la part de ses frères et sœurs et cousins une fois que la vérité serait révélée à tous. Mais ce n'était pas son genre et elle avait promis à son père de ne pas gâcher sa vie à cause du comportement et des querelles de deux adultes dans le passé. Il n'y avait aucune insolence et aucun comportement irrespectueux dans l'attitude de Rowena. Si le professeur pensait le contraire, c'était qu'il n'avait pas compris ce qui se passait dans sa tête.

« C'était inutile de le dire, Professeur. Oui, je suis en colère, je crois même que je vous en veux. Mais je n'ai jamais pensé que vous vous comportiez mal avec moi. Et je n'ai aucune intention de me comporter mal avec vous ou de vous manquer de respect. Pas seulement parce que j'ai promis à mon père de ne pas le faire, mais vous êtes mon professeur et je ne crois pas que ce soit correct de me comporter ainsi vis-à-vis de vous. Donc, je n'ai pas l'intention de le faire. »

Il était vrai qu'elle avait du mal à participer actuellement dans les cours de potion. La simple idée qu'il l'interroge et qu'il la regarde dans les yeux la faisait frémir. Elle était persuadée qu'elle n'arriverait pas à soutenir son regard et lui parler sans que à l'ensemble de la classe ne ressente sa colère. Peut-être que les choses se passeraient mieux avec le temps, mais pour le moment, c'était trop difficile. Elle venait d'apprendre l'horreur de ce qui s'était passé et il pouvait comprendre qu'il lui faille du temps pour réussir à passer outre.

« Vous avez fait énormément de mal à un homme que j'aime plus que tout. C'est normal que je sois en colère. Et si je suis totalement honnête avec vous, je ne suis pas sûre que je pourrais vous pardonner. Mais je ne crois pas avoir été insolente ou irrespectueuse. Je ne crois pas non plus que vous constaterez un manque d'application dans mon travail à proprement parler. J'espère que vous pourrez comprendre mon point de vue. »

Elle n'avait pas élevé la voix, il n'y avait même pas de colère dans le ton qu'elle avait employé. Elle lui parlait posément et d'une manière, ce lui semblait, tout à fait dans la mesure de ce que ses parents exigeaient d'elle. Un professeur pouvait évidemment se fâcher de s'entendre dire qu'il était dans l'erreur, mais elle ne tergiverserait pas sur la question. Elle pouvait accepter de devoir le voir régulièrement pour ses cours et elle pouvait même accepter de lui devoir du respect. Mais quant à ses émotions profondes, elle s'estimait en droit de les avoir sans qu'on puisse le lui reprocher.