@Ackley Bridge

Coline avait refusé de passer aux aveux. Amalia, au contraire, lui avait tout dit. Du moins, ce qu'il voulait entendre. La manière dont Edgar avait été traité par ses camarades de promo, et ce pendant des mois. Le gryffondor l'admettait, il n'avait rien vu. Il avait toujours su que son frère n'était pas du genre populaire, voir le genre de gosse à se faire pousser dans les couloirs. Mais ce que Balthazar avait entendu, cela dépassait les petites mesquineries entre camarades. Il revoyait son frère, son attitude, durant leur pique-nique. Il avait été renfermé, comme toujours, mais peut-être plus au final.

Il serra les dents et serra l'accoudoir du fauteuil dans lequel il était installé, voir avachi, ses yeux perdu dans la flamme de la cheminée toujours allumée. Edgar, pourquoi n'avait-il pas parlé, ne s'était-il pas confié, si cela allait si loin ? Il devait bien savoir que certaines limites imposaient de cracher le morceau, quand bien même la distance que Balthazar imposait à Poudlard. Son frère avait clairement perdu le contrôle vis-à-vis de ses camarades, il aurait dû lui demander de l'aide, lui parler.

Une balle lui tomba sur le torse, prenant par surprise Balthazar. D'instinct, ses bras se refermèrent sur la balle et il tourna sa tête vers Oak, le regard variant de la surprise à l'immédiate compréhension. Son pote venait déjà de rentrer de son jogging ? Ou Balthazar n'avait-il pas vu l'heure passée, à rester perdu dans ses pensées qui tournaient en boucle.

"Non. J'ai pas dormi."

Ou très peu. Le Gryffondor avait repensé aux récents évènements, incapable de trouver le sommeil. Il revoyait sans cesse Edgar, à l'infirmerie, se noyant dans son sang, puis son frère, dans ce lit d'hôpital relié à ces immondes créatures, en compagnie de ses parents dévastés. Et il pensait à Emile, qui avait encore et encore harcelé Edgar, et il repensait à Coline, qui était venue le trouver et qu'il avait ignoré, cette même Coline qui avait refusé de lui dire des noms, prétendant qu'Edgar s'était peut-être fait du mal tout seul. Et enfin, le récit d'Amalia, et le visage de Wheeler qui lui revenait en tête.

"Hmmm ?"

Fit-il à Oak, tourna sa tête vers lui, ayant à peine entendu sa question, mais retenant l'essentiel.

"Oui, oui ... ça va ..."

Réponse évasive, purement fausse, mais c'était comme toujours l'attitude à prendre avec ses potes. Le ciel pouvait leur tomber sur la tête, ils devaient aller bien, et prétendre que tout allait bien, quitte à se mentir à eux-mêmes. Déjà, son regard se détourna de son pote, et se perdit à nouveau dans les flammes de la cheminée. Elle reflétait parfaitement son état d'esprit intérieur, un feu qui s'alimentait sans cesse en lui, qui avait besoin de brûler quelque chose, ou quelqu'un. Ses yeux fixes se remplissaient de rage. Balthazar n'avait que deux choix, la colère, ou le désespoir. Il avait choisi la première émotion, qui serait le moteur de ses actions. Et parce que ses pensées commençaient à se trahir sur son visage alimenté par la haine, Oak répéta sa question, chose rare, entre eux. Balthazar tourna la tête vers son ami, et un instant, Oak put croire qu'il allait lui envoyer des flammes par ses yeux. Balthazar ne disait mot, mais Ackley ne l'avait jamais vu aussi en colère qu'à ce jour. Et peut-être fut-ce l'air pataud, naïf, déstabilisé de son pote qui parvint le calmer, à l'empêcher d'éclater sur lui, car il aurait pu exploser sur n'importe qui. Balthazar parvint à se contenir, et finalement, attrapa la perche pour aborder le sujet.

"Wheeler ..."

Fit-il, donnant enfin voix au nom qui résonnait en lui depuis sa discussion avec Amalia. Il le revoyait, pleurant à l'infirmerie. Balthazar s'en était allé sans même lui adresser un mot, trop choqué pour cela. Pourquoi ces pleurs ? Wheeler n'était pas lié à Edgar, Balthazar ignorait le coeur de leur relation. Pourquoi alors ? Des regrets ? De la culpabilité ... peut-être. Balthazar hésita, regarda Oak dans les yeux, et lui fit :

"Ce que je vais te dire, ça reste entre nous."

Il était sérieux, ce n'était pas le moment de plaisanter, de faire des blagues. Un rare moment où Balthazar s'ouvrait réellement à Oak, où il n'avait pas besoin d'un sportif décérébré, mais de quelqu'un en qui il pouvait avoir confiance. Il le laissa répondre, pour être certain que son ami savait où il mettait les pieds, promettant de garder le secret, puis Balthazar ouvrit la bouche.

"Edgar. Quoi qu'en dise certains ... il a été la cible d'harcèlement ... des trucs graves. Ce qu'il lui est arrivé ... pourquoi il est à l'hôpital, c'est parce que quelqu'un l'a empoisonné."

Il ne mâchait pas ces mots, mais la réalité était ainsi, dure à entendre, dure à dire, et dure à comprendre.

"Et je pense que Wheeler est dans le coup. Lui ... ou Mac Raven. L'un d'eux sait quelque chose."

Il aurait parié sur Emile, car il y avait un motif. Mais depuis sa conversation avec Amalia, ses soupçons se pesaient fortement sur Evan.

"Je veux que tu m'aides à coincer Wheeler ... je veux avoir une conversation en privé avec lui ... loin des oreilles indiscrètes. Je veux m'entretenir avec lui, et lui faire comprendre ce qu'il en coûte de s'en prendre à l'un de mes frères."

Son ton était calme, mais chaque fois trahissait la flamme qui l'habitait. Balthazar voulait rendre aux responsables la violence avec laquelle il avait été touché en voyant Edgar dans cet état. Le type de violence qui consumait l'entourage, et soi-même.

En temps normal, il lui aurait rendu sa balle. Combien leur partie impressionnée de passe-passe dans la salle commune pouvait agacer Aaron parfois, leur préfet. Mais aujourd'hui, Balthazar semblait être un tout autre. A croire que l'idée même de jeter cette balle méritait une telle hargne dans son regard. Certains auraient vus que l'ainé des Rowells était si tendu qu'une aiguille plantée dans sa peau l'aurait fait exploser. Et même si Oak était un idiot, il savait, parfois, se taire ... et écouter. Ou du moins en prendre l'attitude.

Avaient-ils déjà discuté ainsi ? De manière si sérieuse ? Non ... peut-être était-ce la première fois. Les seules conversations sérieuses entre les deux garçons étaient sur le sport, la possibilité ou non qu'Oak revienne dans l'équipe, ou les femmes. Et encore, Balthazar n'avait pas tout dit à Oak à ce sujet. Il n'était pas encore au courant de l'été d'il y a deux ans, l'été de leur quatorze ans. Dans tous les cas, ce devait être la première fois que Balthazar parlait si sérieusement, d'un sujet aussi grave. Mais cela le concernait particulièrement. C'était une histoire de famille, de clan, de fratrie. L'un des siens avait été pris en cible, et Oak pouvait comprendre.

Se taire ... c'était trop en demandé lorsqu'Oak joua le perroquet au terme "empoisonné" qui retentit dans toute la salle commune. Quelques camarades tournèrent la tête. Balthazar se retourna un instant vers eux avant de jeter un regard assassin à Oak, fixe, d'une colère contenue, de surprise aussi, car même en connaissant le personnage, il n'aurait pas cru ça de lui. Il adorait son pote, il le faisait rire, mais parfois, il fallait admettre qu'il méritait une ou deux baffes. Il se contint, car ce n'était pas le moment, pas le plus important. Mais sans qu'il n'ait à dire mot, ses yeux criaient : "Tiens toi !"
Oak l'écouta alors avec sérieux et retenue. Balthazar en oublia l'agacement à son encontre, étant trop préoccupé par sa colère actuelle, dirigée vers Evan et Emile. Balthazar avait besoin d'Oak, besoin de lui comme d'un allié, voir d'un complice. Et le garçon était prêt à répondre à sa demande, avec un enthousiasme au-delà de tout ce que l'ainé des Rowells désirait. Oak le prenait personnellement, cherchant déjà du regard Evan pour lui refaire la tête au carré. Balthazar le regarda, et la pensée le traversa une seconde. Laisser Oak se charger d'Evan ? De lui refaire sa tête au carré comme il le voulait ? Tentant, cela aurait même été satisfaisant. Mais ce n'était pas ce que Balthazar voulait, pas comme ça. Oak lui avait pris la balle des mains, et se tenait déjà prêt à trouver Evan pour le lui faire manger. Balthazar eut à tendre le bras et à attraper férocement de sa poigne le dos de la chemise d'Oak, pour tenter de le contenir.

"Oak ... pas là, pas ici, pas maintenant."

Fit-il expressément, rageant intérieurement de perdre de sa précieuse énergie qu'il voulait diriger intégralement vers ses ennemis, à gérer cet électron libre qu'était Oak. Il le retint, l'amena à se retourner vers lui, et le regarda avec une autorité rare, celle du futur maitre de clan qu'il serait, celle qu'il réservait parfois pour Edgar et Oscar, suivant le modèle de sa mère.

"Assis-toi. Maintenant."

Il ne leva pas la voix, mais l'autorité avait semblé implacable. Ce n'était plus le Balthazar du même âge qu'Oak. Ce garçon semblait avoir doublé d'âge, être un adulte dans la peau d'un adolescent. Un genre qu'il se donnait ? Loin de là. Les résultats d'une éducation que Balthazar avait parfaitement embrassé toutes ces années. Le modèle du jeune homme qu'il deviendrait, mais qu'il n'affichait que rarement face à Oak.

Il attendit qu'il se rassit, restant silencieux, patient, le temps qu'Oak ne se soit calmé et n'ait obéi à sa directive. Qui sait ce qui arriverait s'il continuait à faire n'importe quoi. Définitivement, Balthazar n'était pas dans son état normal. Enfin, quand il comprit que son ami l'écouterait, il reprit la parole :

"Fracasser Wheeler au milieu de la salle commune n'apportera rien. Si ce n'est te faire virer. Ce n'est ce que tu veux, ni ce que je veux."

Il lui remit les points sur les "i", évoquant l'après, les conséquences qui auraient suivi si Oak écoutait ses instincts. Balthazar pensait à ça. Même pour son frère, la réputation avait son importance. Il voulait atteindre ses ennemis, mais pas au point d'en oublier le peu de logique qui lui restait.

"Et surtout ... j'ai besoin qu'il soit capable de parler. J'ai besoin de savoir ce qu'il sait sur cette histoire ... quelle rôle il a joué dans tout ça."

Oak écoutait, sage, frustré, peut-être, car il était un animal libre, difficile à confiner dans une cage. Mais Balthazar avait besoin qu'il prenne sur lui, qu'il accepte un temps la laisse qu'il lui mettait autour du cou. Car dans le cas contraire, l'animal, en voulant trop bien agir, ne leur causerait que du tort. Des heures de colle, au pire, un renvoi. Et cela, il était hors de question. Oak n'était pas une unité sacrifiable pour Balthazar, il ne considérait pas ses proches de la sorte. Peut-être le devrait-il, un jour, quand il serait adulte. Après tout, combien de fois avait-il sacrifié Edgar pour son propre bien-être, pour ne pas subir les représailles de ses propres actions ? Mais avec Oak, c'était différent. Il n'était pas de son clan, et parce qu'ils n'étaient pas liés par le sang, il ne devait rien au Gryffondor, si ce n'était la fidélité qu'il était attendu d'un ami.

Il écoutait, et voulait savoir ce que Balthazar prévoyait. Oak avait besoin de quelque chose pour se nourrir, pour défouler son besoin excessif de faire régner la justice. Non pas pour Edgar, mais pour défendre l'image noble que l'agression lui prodiguait de par cet accident. Un principe, voilà ce qu'Oak défendait. Balthazar, lui, défendait l'honneur. L'ainé des Rowells se tourna, s'assurant que personne n'écoutait leur conversation. Et par précaution, il n'en dirait pas de trop. Il savait qu'au sein de sa maison, il n'avait pas que des alliés. Coline ... Aaron ... Peut-être même Claude ... qui sait d'où pouvait venir une possible trahison. Quand à Oak, ce dernier lui avait prouvé que malgré tous les efforts du monde, la discrétion lui était impossible. Il suffisait d'un élément de surprise pour qu'il le hurle à la face du monde. Balthazar devait se montrer prudent, ne pas trop en dire.

"La guerre psychologique ... tu sais ce que c'est ?"

Lui demanda t'il, s'attendant à ce qu'Oak réponde par la négative. Pourtant, c'était un élément qui pouvait être utile en sport, d'où son doute. Mais il n'oubliait pas à qui il parlait.

"Je veux d'abord que Wheeler ressente ce qu'il a fait subir à Edgar. Je veux qu'il comprenne que quelque chose cloche, ou plutôt, doute que quelque chose cloche, qu'il est dans mon viseur ... mais je veux qu'il n'en soit pas certain. Lui insérer le doute subtilement."

Evan et ses potes avaient torturé Edgar pendant plusieurs semaines parait-il, à écouter Amalia. Si Balthazar n'avait pas la patience d'attendre autant de temps avant de rendre justice, il ferait en sorte de donner un petit goût à Wheeler de ce malaise. Subtilement ... pour sur que Oak n'aimerait pas le terme. Pourtant, il assurait qu'il ferait tout ce que Balthazar lui dirait. Une esquisse de sourire apparut sur le visage de l'héritier, toujours touché par la dévotion presque absurde d'Oak. Mais cette faible émotion disparut aussitôt, écrasée par son visage renfrogné et déterminé. C'était ça le plus important, de conserver sa colère.

"Partout où il ira ... nous serons là ... je vais jeter un oeil à son emploi du temps ... nou ferons en sorte d'être dans le coin à chaque fois qu'il sortira de cours, de la grande salle ... où qu'il aille, nous serons dans le coin. On ne lui dira rien, ce ne sera QUE un hasard ... du moins, cela semblera ainsi ... mais il finira par se rendre compte de la coïncidence ... il saura ... que quelque chose cloche."

Il voyait déjà la scène, et à l'entendre, on sentait que déjà, le simple fait de l'imaginer, cela faisait un bien fou à Balthazar. Infliger la justice soit-même, cela pouvait être grandement réconfortant. Il continua alors :

"Au moment venu ... quand il ira aux toilettes, ou quelque chose comme ça ... je le suivrais. Toi, ton seul, et unique rôle, sera que personne ne rentre le temps que j'ai ma petite conversation avec lui. Et surtout, qu'il ne sorte pas tant que je n'en ai pas fini. Tout ce que je veux de toi, Oak, c'est que tu joues le rôle de gardien ... et que tu me signales, si un professeur ou qui que ce soit arrive. Moi, je me charge du reste."

Il n'en dit pas plus, préférant garder le reste de son plan infâme pour lui. Oak ne prenait pas de risques ainsi, ni ne risquait de le révéler par erreur. Il valait mieux qu'il soit ignorant. Personne ne lui reprocherait d'être resté avec Balthazar toute la journée, ou avoir bloqué des toilettes parce que le Gryffondor voulait discuter avec Evan Wheeler en tête à tête. Il n'aurait aucune responsabilité réelle dans cette affaire, si elle était amenée à se savoir. Et Balthazar ferait en sorte que Wheeler garde cette histoire pour lui. Il saurait le convaincre.

"Est-ce que je peux compter sur toi ?"

Lui demanda t'il alors, le regardant dans les yeux, de sa mine toujours aussi déterminée, et convaincu qu'il agissait pour une cause nécessaire. Il n'aborderait pas de suite Emile, souhaitant d'abord faire le point, et tirer un trait sur Evan en premier lieu.