Elizabeth avait cette voix douce et bienveillante que Roan trouvait incroyable et à la fois déstabilisante. Comment faisait-elle pour rester aussi calme ? Il avait eu un comportement de Troll et elle arrivait encore à lui trouver des excuses. Il devait peut-être prendre exemple sur elle. Ou se mettre à faire des exercices de respirations. Face aux paroles de sa cadette, Roan sourit. Il se sentait idiot.

- C'est vrai ? On ne dirait pas.

Dit-il simplement en plongeant les mains dans ses poches. Elle jouait d'une manière si fluide et si harmonieuse. Roan ne s'était pas imaginé qu'elle puisse ne rien comprendre à une partition. C'était pourtant la base en musique ; le solfège. C'était ce qui permettait de construire un morceau, de l'apprivoiser et même de créer de nouveaux sons. Mais ils étaient jeunes et novices et se contentaient certainement du peu qu'ils savaient.

Quand Elizabeth avoua vouloir écrire de la musique, Roan resta pantois quelques instants. C'était si ambitieux de sa part. Il fallait vraiment maitriser le solfège pour retranscrire les mélodies nichées dans sa tête sur du papier. Lui s'en sentait incapable.

- Ah ouais ... ouais, j'imagine qu'il faut être doué en solfège pour ça. Mais bon, tout s'apprend, et à tout âge, j'imagine ! Tu as déjà une très bonne oreille de ce que je vois ... donc c'est déjà un avantage que tu as.

Roan ne pouvait pas nier sa jalousie. Il était un peu excédé par la facilité qu'Elizabeth avait de pouvoir reproduire sur le clavier ce qu'elle entendait. C'était un don inné, quelque chose qu'il fallait exploiter, et approfondir. Mais Roan ne l'avait pas. C'était un piètre musicien, qui aimait pourtant glisser ses doigts fins sur les touches noires et blanches du piano. Il avait envie d'être bon musicien, mais le serait avec beaucoup de patience, de travail et d'acharnement. Peut-être dans plusieurs années s'il n'abandonnait pas entre temps.

Il reprit place face au piano et posa un livret de partitions qu'il avait trouvé dans la bibliothèque de la salle de musique. D'un mouvement de la tête, il demanda à Elizabeth de le rejoindre.

- Promis je ne me fâcherai plus !

Il ouvrit le carnet et tomba sur un morceau assez simple, avec quelques croches, des bémols et un rythme en quatre temps. Les mains posées sur ses cuisses, Roan observa la partition avec appréhension. Il ne connaissait ni le morceau, ni le rythme, ni même la lecture de cette partition. Il rebondit sur ce qu'Elizabeth lui avait dit.

- Tu as été mise dehors ? Je suis désolé si je parais indiscret, mais ... tu n'as plus de parents ?

Son regard se fut compatissant. En dehors des cours de musique, Roan ne connaissait pas vraiment Elizabeth. Et c'était l'occasion, peut-être, d'approfondir leur relation.

Tout de même, Roan donnerait beaucoup pour posséder le talent inné d’Elizabeth. Elle était beaucoup trop humble avec elle-même. Mais en même temps, elle avait raison. Ce n’était pas parce qu’on possédait l’oreille parfaite, qu’il fallait laisser le solfège de côté. Et puis, ça ne voulait pas dire qu’elle arrivait à reproduire toutes les musiques qu’elle entendait. Un morceau de Chopin devait être bien compliqué à retranscrire sans avoir aucune notion en solfège. Mais Roan n’y connaissait pas grand-chose dans ce domaine. Lui apprenait tout. Il avait trouvé le piano séduisant et grâce à Elizabeth il avait changé de club au cours de l’année scolaire. Bien sûr, il aurait pu rester dans sa zone de confort au club de Botanique. Mais à quoi bon ? Il n’aurait rien appris d’avantage et se serait rapidement ennuyé, pour finalement abandonner l’option avant la fin de l’année. Là, il ne pouvait que progresser.

Mais à ses yeux, ça n’allait pas assez vite. Il voulait voir de réels progrès, jouer des morceaux qu’il aimait, sans buter sur des touches ou créer un florilège de fausses notes. Roan n’était pas spécialement doué en musique et ne possédait pas de réel talent dans le domaine. Il devait bosser ses gammes, entrainer ses doigts sur les touches noires et blanches pour gagner en agilité et souplesse. C’était un travail fastidieux. Et avec la masse de devoirs et les entrainements de Quidditch, il ne prenait pas le temps de venir ici pour s’entrainer correctement. Une bonne progression, exigeait de venir s’exercer tous les jours. Chose qu’il ne faisait pas.

Il sourit à Elizabeth en l’entendant parler.

« Ca viendra, j’en suis sûr. Puis le fait d’avoir l’ouïe parfaite te permettra de progresser rapidement dans la lecture des partitions et la compréhension du solfège. Enfin … je crois. »

Ce que voulait surtout dire Elizabeth par là, c’était que rien n’était acquis et qu’elle avait encore beaucoup à apprendre dans cette matière. Mais Roan ne le comprenait pas dans ce sens. Il la trouvait bien trop modeste par rapport au talent qu’elle exposait. Quand elle lui parla du Philharmonique de Londres, Roan écarquilla grand ses yeux.

« Ah ouais ? Tu as joué avec le Philharmonique de Londres ? Waow … tu m’épates là ! Ca devait être … grandiose non ? Attends … mais du coup, tu es super douée en fait ! Tu caches bien ton jeu … héhé ! »

Elizabeth, sous ses petits airs, était une fille incroyablement talentueuse. Elle se dévalorisait beaucoup trop. Si elle avait joué avec le Philharmonique de Londres c’est qu’elle avait un talent incroyable. Ou qu’elle avait de bonnes connaissances. Mais de ce que Roan savait, ce genre d’établissement, on y rentrait pas en un claquement de doigts. Il fallait être un excellent musicien. Mais au fond de Roan, une petite pointe de jalousie naissait. Il n’aimait pas se retrouver assis à côté de quelqu’un d’aussi talentueux, alors que lui avait tout à apprendre. Finalement, la Botanique était peut-être plus satisfaisant pour son égo.

Il questionna Elizabeth sur sa vie, ses parents et vit soudainement son visage s’assombrir. Elle lui avoua avoir perdu ses parents lorsqu’elle n’était qu’un bébé et qu’elle fut trimballée de famille d’accueil en famille d’accueil. Roan accompagna Elizabeth dans l’expression de ses émotions douloureuses. Elle n’avait pas eu une enfance facile. Lui, n’avait jamais connu cela. Le rejet des siens. Bien sûr, la séparation de ses parents n’avait pas été une étape facile dans sa vie et le divorce l’avait profondément impacté. Mais pour Elizabeth, se faire rejeter de ceux qui l’avait accueilli simplement à cause de sa nature, semblait insurmontable aux yeux de Roan. Ainsi, c’était ce genre de vie que pouvaient connaître les nés Moldus ?

« Je suis désolé pour toi Elizabeth … »

Dit-il tout simplement, le regard triste, dirigé vers la jeune fille. Il ne savait pas quoi dire. L’abandon devait être pénible.

« Ce qui compte c’est que tu as été adopté et j’espère par des gens biens. Je ne savais pas ce que tu avais vécu … c’est dingue. Pourquoi tu m’en avais jamais parlé avant ? »

Bien qu’il soit un Serdaigle, Roan ne comprenait pas tout. Et il devait bien le concevoir, la musique, parfois, ça lui échappait. Il se contenta donc de sourire un peu bêtement à Elizabeth. Elle avait l’air d’être dans son élément, elle. Lui avait encore tout à apprendre. Et plus il prenait de l’âge, moins il était patient pour apprendre au fur et à mesure. La musique demandait des heures de pratique et Roan aimait les choses qui coulaient de sources. D’habitude, il comprenait rapidement, surtout la magie. Ce n’était pas un réel problème d’apprivoiser une nouvelle plante, d’en extraire le jus et de comprendre son utilité magique. Mais la musique, c’était un univers trop nouveau pour lui. Ingrat aussi. Il avait parfois l’impression que s’entrainer des heures ne suffiraient jamais à faire de lui un grand virtuose. Oui, il fallait quelque chose en plus. Quelque chose qu’il n’avait pas : du talent.

« Ouais, si tu le dis. » répondit-il tout simplement.

Elizabeth jouait à la modeste. Mais bon sang, jouer devant des spectateurs, au Philharmonique de Londres, ce n’était pas rien. Surtout qu’elle était vraiment très jeune ! Roan n’y connaissait pas grand chose, mais il imaginait bien que ce genre d’événement était plutôt réservé aux adultes qui avaient déjà un beau parcours derrière eux.

Elle expliqua avec ses mots que ce moment avait été incroyable et effrayant en même temps. Roan n’en doutait pas. Il était impressionné et à la fois terriblement jaloux.

« Bah c’est normal d’avoir peur dans ces moments là. Ceux qui disent le contraire ce sont des mythos … ou des extraterrestres ! »

Un sourire torve se dessina entre ses lèvres. Dès qu’il évoquait les extraterrestres, ça le faisait tout de suite penser à Ivy qui y croyait vraiment. Quel nul celui-là ! Quand elle répondit à sa triste enfance, le visage de Roan s’assombrit. Elle était modeste, mais un peu trop. Elle n’avait pas l’air de souffrir d’avoir été orpheline et plutôt reconnaissante d’avoir eu quelqu’un de généreux pour s’occuper d’elle. Roan secoua la tête un peu excédé par tant de « bonté » si on pouvait dire ça ainsi.

« Nan mais t’as le droit de te plaindre quand même. T’as eu une enfance pourrie. Orpheline, c’est ultra triste. Moi j’ai toujours vu mes parents se disputer. A leur séparation j’étais … dévasté. Mais pour rien au monde j’aurai voulu être orphelin. Genre toi ça te va de ne pas connaître tes parents ? Savoir d’où tu viens ? Quelles valeurs ils t’auraient transmis si ils avaient été encore en vie ? En plus tu dis que tu devrais être reconnaissante … mais si j’ai bien compris, tu t’es faite virée de deux familles avant de tomber dans un orphelinat. Un orphelinat … j’appelle pas ça une chance. Y’a pas plus naze comme endroit ! »

Oui, Roan avait une conception de l’orphelinat bien à lui. Un endroit sans âme, impersonnel, où chaque enfant est formaté à suivre des horaires bien précises. Où l’amour n’a pas sa place. Où les enfants dorment tous dans le même dortoir et n’ont qu’une envie, trouver une famille pour s’échapper d’un tel endroit. Finalement, Elizabeth avait un lourd passé que Roan n’avait jamais soupçonné. Il était content d’en avoir appris plus sur elle.

« Mais c’est clair que tu as un don. Enfin, du talent quoi. Chose que je n’ai pas moi ! Mais je vais continuer à m’entrainer … au moins pour réussir ce morceau et le jouer par cœur. Ca fait toujours bien de savoir jouer un instrument de musique. Y’a mon pote Damian qui m’a proposé à jouer de la guitare. C’est peut-être plus simple que le piano … m’enfin. »

Il se releva du siège, puis s’étira de tout son long pour finalement prendre place sur une chaise plus loin. D’un vague geste de la main, il fit signe à Elizabeth.

« Va-y, joue moi ton plus beau morceau de musique que tu connaisses ! J’ai envie de m’évader un peu. Et je suis sûr que toi aussi ! »