Lorsque Bouldeplumes était arrivé, pimpant et vif comme à son habitude, lettre entre ses minuscules serres, Émile avait failli sauter de joie.

Comme d'habitude, quand il recevait une lettre d'Andrew, Émile était heureux comme s'il avait reçu le plus beau cadeau. Il échangeait avec son père une a deux fois par semaines, voire plus quand ils avaient du temps libre. Depuis l'affaire Rowell, cependant, ils s'ecrivaient moins, car ils avaient chacun beaucoup de travail et ils étaient surtout épuisés. Andrew comme Émile devaient rembourser les frais pour l'appareil photo d'Edgar, et, même encore aujourd'hui, plusieurs mois après, ils peinaient à se relever de cette dépense excessive. Émile s'inquiétait pour son père. Il avait pu garder leur appartement qu'ils louaient en périphérie de Londres, mais il avait dû prendre deux emplois et il n'avait plus aucun jour de repos depuis la sentence. Émile savait bien qu'il était à bout, malgré ses lettres rassurantes, car lui même l'était. Émile devait enchaîner les révisions, les soins aux créatures magiques et un emploi secret à la boutique de sucreries. Il avait du supplier les gérants pour qu'ils acceptent de le payer sans le déclarer et cela lui permettait d'envoyer de l'argent liquide à son père. Ce dernier en avait été soulagé, même si, au début, il l'avait sermonné par rapport à ses études.

Mais ce n'était pas une lettre d'Andrew qui l'attendait. Edmond Rowell, le professeur de vol, l'avait convoqué. Émile déglutit. Depuis qu'Edgar était parti à l hôpital et depuis que Balthazar s'en était pris à lui de manière assez violente, Émile redoutait que le patriarche vienne de mêler de ses affaires. De plus, il avait appris que ce dernier était très proche de celui dont il espérait obtenir le soutien : le comte de Brocéliande. Raté. Ce dernier ne fera rien pour lui. Émile, malgré sa peur, rangea des affaires et se prépara pour le rendez vous. Il enfila sa robe de sorcier la moins abîmée (rapiécée tout de même par endroits) ainsi qu'un pantalon un peu bouloché. Il cira ses chaussures afin de cacher les traces d'usure et se rendit au pas de course vers la tour du personnel, là où l'attendait Monsieur Rowell. Essoufflé, Émile se présenta devant la porte et arrangea ses cheveux. Il souffla un coup, sentant son ventre se tordre de nervosité. Il lui voulait quoi, bon sang, le vieux Rowell ? Émile n'avait rien dit quant à sa dispute avec Balthazar... Quoique. Émile failli se gifler. Il avait vaguement dit qu'il s'était embrouillé avec lui a un de ses amis de chambre, l'autre jour. Ce dernier s'était d'ailleurs montré très intéressé. Le plus étrange était que, quand il lui en avait reparlé le soir venu, son camarade avait feint l'ignorance. Il avait du tout rapporter au vieux Rowell !

Émile se dit que, de toute manière, sa situation ne pouvait pas être pire... Quoique, Rowell pouvait toujours veiller à ce qu'Andrew finisse à la rue. Émile toqua donc, bien décidé à ne pas se laisser faire. Quand il entendit la voix de Rowell, il entra et dit : Bonjour Monsieur. J'ai bien reçu votre convocation. Me voilà donc... En quoi puis je vous être utile ? Poli, irréprochable malgré l'usure de sa tenue, Émile veillait à ce que Rowell ne puisse pas le sermonner quant à son aspect. Il serra les lèvres, nerveux. Il appréhendait vraiment. Qu'allait il lui dire ?

Émile n'était pas franchement rassuré, quoi de plus normal quand on sait qui l'avait convoqué ?

Cet homme avait contribué à ce qu'il soit puni et au fait que son dossier le désigne désormais comme un élève bagarreur. Cela entacherait à jamais son avenir, mais ce n'était pas ce qu'Émile garderait en mémoire. Il se rappelait surtout de la colère de son père, de l'humiliation ressentie quand lui et son horrible épouse lui ont rappelé qu'à leurs yeux, il n'était que de la vermine, un moins que rien qui ne méritait pas de voir son fils étudier dans une si prestigieuse école. Il se rappelait de la fatigue de son père, décrite dans ses lettres, qui avait du prendre un emploi de nuit en plus de celui au garage pour gagner un peu plus afin de rembourser l'appareil photo d'Edgar. Il se rappelait enfin de ce sentiment amer qu'il gardait encore en lui, celui de ne pouvoir lutter contre ces sorciers de sang pur, comme ils osent se le prétendre. Quoiqu'il fasse, il sera toujours en tort face à eux.

Le garçon entra, se méfiant instinctivement de l'attitude de son professeur mais, poli et obéissant, il obéit et s'assit face à lui, sac sur les genoux, le dos droit mais le regard baissé. Il n'oserait pas le regarder dans les yeux, pas tant qu'il ne saurait pas ce qu'on lui veut. Son professeur lui assura qu'il ne l'avait pas convoqué pour lui parler de ses performances plus que misérables en cours de vol. L'adolescent releva la tête, curieux, et se sentit pâlir quand Edmond Rowell lui dit qu'il avait des questions à lui poser sur Edgar. Émile souffla : Edgar ? Monsieur... Je... Edmond le coupa, lui disant qu'il était conscient qu'il avait respecté du mieux qu'il pouvait l'interdiction de la directrice de s'approcher d'Edgar, et que, si cette distance avait été brisée, c'était bien de la faute du petit Serdaigle. L'adolescent soupira doucement de soulagement, croyant fermement qu'il allait se faire sermonner voire sanctionner sévèrement pour cette histoire, mais ce n'était pas dans l'intention du père Rowell. Émile attendit donc la suite, se demandant ce que lui voulait donc Rowell à propos d'Edgar.

Il en vint rapidement au fait, il lui parla de l'histoire des braconniers, qui avait été rapportée par Balthazar. Émile se retint de froncer les sourcils. Ce salopard n'avait pas respecté sa promesse de ne rien dire.. Enfin, en partie. Si le fait qu'ils s'étaient battus était resté entre eux deux, son aventure avec les braconniers avait fait le tour du corps professoral. Edmond voulait en savoir plus, il réclamait le moindre détail sur l'implication d'Émile et Edgar dans cette histoire, et il lui demanda d'être le plus honnête possible. Émile, sentant que cette entrevue serait plus longue que prévue, posa son sac au sol, déposa ses mains sur ses genoux et commença : Balthazar essayait de vous rassurer, monsieur. Nous étions en train de solidifier les défenses magiques du chateau avec Edgar, quand nous avons entendu un cri d'animal. J'ai décidé de m'approcher, de ma propre initiative, et Edgar m'a suivi. Grâce à mon patronus, je suis parvenu à sauver une créature magique, qui s'est réfugié dans le parc du château, et que nous gardons dans nos enclos depuis lors, car elle se remet d'une blessure. Émile marqua une courte pause et reprit : J'avais décidé d'en rester là, les braconniers étaient partis, mais Edgar a décidé d'aller jusqu'à leur camp, pour sauver d'autres créatures prisonnières. Soucieux de sa sécurité, je l'ai suivi. Après ce qu'il s'est passé dans le bureau de la Directrice, vous imaginez bien que je n'allais pas le laisser comme ça, Balthazar aurait sinon pris un malin plaisir à crier sous tous les toits que j'aurais laissé son petit frère mourir. Mon père et moi sommes assez en difficultés comme ça. Émile était amer dans ses propos, il avait encore sa dernière "entrevue" avec Balthazar en travers de la gorge.

Il reprit donc : J'ai proposé un plan à Edgar. Je ferais l'appât, et il irait ouvrir les cages, mais il a été découvert et les braconniers l'ont blessé. Je suis parvenu à le tirer de là, non sans dommages, et c'est des villageois qui nous ont sauvé. Je ne serais sinon pas là pour vous en parler, monsieur. Émile croisa les bras, mal à l'aise. Il savait que cette histoire serait difficile à avaler, aussi ajouta t'il : C'est la pure vérité, monsieur, il n'est pas dans mon intérêt de vous mentir, surtout pas à vous, quand on sait ce que vous êtes capable de faire aux personnes comme mon père et moi... Il jouait la carte de la soumission, afin de faire comprendre au père Rowell qu'il n'était pas là pour fanfaronner.

Émile avait dit de ce qu'il avait à dire, il avait raconté toute l'histoire, sans omettre aucun détail.

Edmond semblait obnubilé par son récit. Il l'écoutait attentivement, demandant quelques précisions de temps en temps. À la première question, Émile répondit : Je... J'étais en retenue, monsieur. Edgar était la parce qu'il était volontaire pour aider, à ce que j'ai compris. Je lançais le sort de défense, et Edgar le renforçait de son côté. C'était notre tâche .. Il continua, évoquant l'animal en détresse, les braconniers et son patronus. Edmond lui demanda alors quel était son patronus. Émile se sentit rougir et répondit, en baissant les yeux : Une cigogne, monsieur... Il se retint de dévoiler une des raisons pour laquelle son sort prenait la forme de cet oiseau. Il se rappelait juste du sourire d'Andrew, alors qu'il lui montrait un couple de cigogne qui se faisaient des câlins en haut de leur nid. Ils avaient une niché juste au dessus de la maison de sa grand mère. C'est l'oiseau préféré d'Andrew.

Il n'osa pas retourner la question à son professeur. Il le craignait plus qu'il ne l'appréciait et il ne se voyait pas sympathiser comme ça avec Edmond Rowell en lui demandant quel était son patronus. Le jeune homme continua son récit et, en voyant la réaction stupéfaite de son professeur, il ne put que confirmer ses dires, lui disant : Oui, monsieur. C'est bien ce qui est arrivé .. Il reprit son histoire, passant sur les réactions de son aîné qui ne cessait de s'étonner que son fils ait pu faire cela. Il demanda même si les actes d'Edgar avaient poussé Émile a cet acte de bravoure. Émile hocha juste la tête en guise de réponse et reprit. Il acheva enfin en avouant qu'il disait la vérité et qu'il n'avait aucun intérêt à mentir, ajoutant muettement un léger reproche au fait que les Rowell avaient humilié son paternel. Edmond marmonna dans sa barbe avant de lui demander des précisions sur les blessures qu'ils avaient reçus. Émile répondit alors : Un des braconniers a frappé Edgar à plusieurs reprises. Votre fils a été courageux, monsieur, il a tenu bon et c'est comme ça que j'ai pu refaire diversion, appeler a l'aide et le sauver. Je l'ai porté sur mon dos car il avait perdu connaissance et c'est là que les villageois nous ont trouvé. Il gardait encore la marque du sort qui lui avait égratigné l'épaule, mais il se garda bien de le dire, ce n'était rien comparé à ce qu'Edgar avait subi.

Émile était resté plongé dans ses pensées, tout comme Edmond, et ce dernier brisa le silence en demandant une précision sur les raisons qui avaient poussé Émile a refuser l'argent. Il avait noté que l'homme avait commencé à le tutoyer, mais il refusa de lui rendre la même familiarité. Émile releva la tête, mal a l'aise mais déterminé : Je... Par fierté, monsieur. Mon père et moi sommes... Nous peinons a nous en sortir, je ne peux pas vous le cacher. Mon père cumule deux emplois, ne mange plus qu'une seule fois par jour. Je lui envoie de mon côté des restes qui se conservent facilement... Des biscuits, des aliments secs... Et je travaille sur mes temps libres. Personne ne le sait, a part ma copine, mais vous êtes dans la confidence désormais... Nous sommes en difficulté, mais nous refusons d'accepter toute charité, pas tant que nous sommes encore en capacité de nous battre, monsieur. Ce n'était pas contre Edgar, ni contre votre famille. Cela aurait été n'importe qui, nous aurions refusé quand même. C'est notre sang écossais, sans doute... Nous sommes trop fier pour accepter l'aide qu'on nous offre. C'est idiot, nous le savons, mais nous sommes ainsi... Andrew lui même avait approuvé sa décision quand il lui en avait parlé.

La dernière chose dont il avait envie, c'était que Rowell se montre compatissant et compréhensif.

Il ne désirait qu'une chose : s'en aller loin de cet homme, qui le rendait mal à l'aise malgré sa bienveillance, et retourner dans son dortoir. Il avait cependant veillé à dire la vérité, toute la vérité à Rowell, car il savait que mentir ne servait à rien dans son cas. Et puis, ce n'était pas ainsi qu'Andrew l'avait éduqué. Son père prônait la vérité, même si celle ci faisait souffrir. Mais, en revanche, il lui avait appris que la dissimulation était parfois le pire des mensonges. Aussi, quand il parlait avec Erin, il ne lui cachait rien, autant ses sentiments que sa vie. Pour Rowell, c'était la même chose. Il lui avoua tout, ne dissimulant aucun détail et répondant honnêtement à ses questions. Edmond lui dit que son fils n'était pas courageux, mais qu'il essayait de faire les choses bien, comme il le pouvait. C'était un assez bon résumé de son camarade. Émile resta silencieux, attendant la suite.

La remarque sur la fierté des hommes fit rougir Émile qui baissa les yeux, pour les relever aussitôt quand il entendit que Rowell respectait son choix. Il ne put s'empêcher de répondre : Vous êtes bien le seul. Mis a part vous et mon père, tout le monde, même ma copine, m'ont traité d'idiot... @Erin Gibson ainsi que Balthazar ne s'étaient pas gênés pour lui faire remarquer que son choix était stupide, que cela aurait pu grandement aider Andrew. Mais ils ne pouvaient comprendre. Les McRaven, aussi pauvres fussent ils, avaient leur fierté et le sens de l'honneur, et cela valait bien plus que n'importe quelle somme d'argent de ce monde.

Rowell déposa une bourse devant Émile. Ce dernier ne bougea pas d'un cil, mais remarqua d'un simple regard qu'elle devait contenir une grande somme, étant donnée sa taille et le fait qu'elle était bien remplie. Il déglutit et écouta Edmond qui lui dit que ce n'était pas de la charité mais une sorte de paiement pour ce qu'il avait fait. Émile s'empressa de répondre : Je n'ai pas fait cela pour l'argent monsieur... Il se tut ensuite et écouta la suite. Il se sentit rougir quand il l'entendit dire qu'il n'y avait aucune honte à accepter une main tendue et qu'Edgar aurait approuvé qu'il reçoive cet argent. Émile réfléchit. Il avait envie de refuser, par fierté, une nouvelle fois, mais un détail l'empêcha de le faire. Il pensa à son père, qui, aujourd'hui encore, ne mangeait plus qu'une seule fois par jour, et qui avait du vendre des meubles pour payer le loyer. Émile posa donc sa main sur la bourse. Tant pis... Il en souffrirait, et Andrew aussi sûrement, mais ce n'était pas de la charité, comme le disait Rowell, et cela permettra à Andrew de sortir enfin la tête de l'eau...

Émile dit alors : Merci... Monsieur... Merci infiniment. Il était malgré tout soulagé, libéré d'un sacré poids... Il pourra même acheter une nouvelle chemise de costume pour son père avec cet argent, sa seule chemise étant reprisee de partout...Émile demanda, tout en glissant la bourse dans sa robe de sorcier : Monsieur... Comment va Edgar ? Je n'ai pas eu de nouvelles depuis son départ et Balthazar n'a pas souhaité m'en dire plus... Ne lui en voulez pas pour ce que je vais vous dévoiler, il ne pensait qu'à son petit frère... Mais il pensait très sérieusement que j'étais celui qui l'avais envoyé à sainte Mangouste...