Noël. Qu'est ce que je peux aimer cette période.

Je suis déjà un homme qui adore l'hiver. La neige, les feux de cheminée, les chocolats et les marrons chauds, le sourire et les rires des enfants.
Mais c'est également une période très intense pour moi. Je dois organiser et assister à de multiples réceptions, je dois apparaitre à de nombreux endroits, jouer de mon statut pour garder à mes côtés les hommes les plus influents. C'est une période difficile car les terres se refroidissent et il faut se tourner vers de nouvelles sources de revenus. L'argent n'a jamais été un problème pour moi, mais je dois veiller à ce que je ne fasse pas faillite. Ma famille possède Brocéliande depuis des siècles, il serait idiot que je perde tout à cause d'une erreur due à un manque d'anticipation. Je travaille beaucoup, m'occupant à la fois de mes terres, de celles de mon épouse et de mon métier d'Auror. Les missions s'enchainent, les braconniers profitent de la période hivernale pour élaborer de nouveaux plans et pourchasser les créatures qui luttent pour survivre dans le froid.

Ce soir là, je suis éreinté. J'ai passé la matinée à interroger un jeune braconnier arrêté la veille, et il s'est montré peu coopératif. J'ai du laisser mes collègues prendre le relai pour aller assister à l'inauguration d'une nouvelle salle de théâtre moldue puis j'ai participé à un séminaire nocturne. Une nuit blanche donc, mais qui a été très animée. Je rentre donc tôt le lendemain matin, vêtu encore de mon smoking. Je sais que mes enfants sont à la maison pour les vacances. Ils sont rentrés il y a déjà deux jours, mais je n'ai pas eu le temps d'aller les voir. L'occasion se présente enfin. Lâchant un soupir, je retire mon nœud papillon ainsi que mes chaussures et mes chaussettes. Bon sang, cela fait du bien, je commençais à ne plus supporter d'avoir les pieds comprimés ainsi dans ces belles chaussures en cuir.

Epuisé mais impatient de retrouver mes enfants, je me dirige, pieds nus, vers leur chambre. Aiden dort encore, à en juger par les petits ronflements que je perçois derrière la porte de sa chambre. Par contre, je vois de la lumière dans la chambre de ma petite Rowena. Sourire aux lèvres, j'entrouvre la porte et toque doucement. Ma fille leva les yeux et croisa mon regard. Je souris et lui demande, en français : Excusez moi mademoiselle, auriez vous vu ma petite fille ? Je ne l'ai pas vue depuis fort longtemps et elle me manque terriblement. Pourriez vous m'aider ? J'entre, feignant la timidité, et referme la porte derrière moi pour ne pas réveiller les dormeurs. Je lui demande ensuite : Tu ne dors pas ? Il est tôt pourtant ma puce.

Si innocente, si fragile, ma fille se lève de son lit pour venir me serrer dans ses petits bras frêles.

Je lui rends son calin, enserrant mes bras autour d'elle et embrassant ses cheveux. Elle sent si bon, et ça, depuis sa naissance. Elle m'a manqué et je suis heureux de pouvoir enfin la serrer dans mes bras. Je souris, soudainement apaisé. Elle fait partie des seules personnes en ce monde, avec Emily, à parvenir à calmer mes angoisses et mes peurs, bien que Rowena ne soit au courant de rien. Depuis sa naissance, et depuis que j'ai retrouvé mes facultés mentales après mon traumatisme, je veille scupuleusement à cacher ce qui me ronge un peu plus chaque jour. Mes cicatrices sur ma poitrine, mon dos, mes bras et mes jambes, tout comme les marques sur mes poignets, et mes crises de larmes, tout cela leur reste dissimulé. Je ne leur dirais rien, ils ne le sauront pas, pas par moi en tout cas. Emily trouve que c'est idiot, que je ferais bien de tout leur raconter, mais je ne veux pas les mettre face à ce passé trouble et difficile. En attendant, lui ai je répondu, je continuerais à cacher ces marques sous mes vêtements, des bracelets et des montres. A travers mes sourires, mes rires et ma joie de vivre, je leur dissimulerais à quel point ce monde peut être horrible.

Je ne me leurre cependant pas, ils vont finir par apprendre et la leçon sera sans doute difficile à avaler, mais, tant que je le peux encore, je veux les protéger. Ma fille s'étonna que le matin soit déjà arrivé, et sa petite voix me sortit de mes pensées. Je lui souris et hoche la tête. Elle me dit qu'elle était absorbée par son livre et qu'elle n'avait pas vu le temps passé. Elle me demanda ensuite ce que j'avais fait cette nuit et si je pouvais me reposer ce matin. Je souris et, tout en désignant son lit de la tête, je lui dis : Je vais le faire ici même, je ne veux pas réveiler ta mère. Avec un sourire taquin, je me redresse et va m'étendre sur son lit, en faisant l'étoile, avec un soupir de satisfaction. Je lui dis ensuite, tout en jetant un oeil à la couverture de son livre : J'ai été occupé toute la nuit, ma puce. Le travail, les réceptions, les séminaires... Et ce n'est pas fini. Je me retiens de dire que c'est très bien tout cela, car ça m'occupe l'esprit. Je me pousse pour lui faire de la place et commence à piquer du nez. Je me réveille bien pour lui demander, avec un sourire : Ca s'est bien passé la fin d'année à Poudlard ? Ils vous ont donné beaucoup de devoirs ?

Depuis le décès de mon père, depuis que je suis devenu comte, j'ai cessé d'énumérer les heures.

Le seul moment où je regarde ma montre est lorsque je pense être en retard. Le reste du temps, elle sert juste de décoration à mon poignet, et elle recouvre cette cicatrice vieille de douze ans. Depuis que je suis devenu comte, je ne dors plus que quelques heures par nuit, tant le travail est colossal. J'ai été préparé à cela et le défi ne m'a jamais effrayé, je le vois comme mon devoir, et je suis le seul à pouvoir mener cette tâche à bien. Tant que je serais en vie, Brocéliande sera entre de bonnes mains. Qui sait cependant pour combien de temps ? Je m'épuise, lentement mais surement et malgré les recommandations de ma famille, je sais que je ne dois pas fléchir, je ne dois pas laisser transparaitre qu'une ombre de ma propre faiblesse, sinon, nous sommes finis. Ma famille n'imagine pas à quel point nous sommes enviés et menacés. Un seul rempart se dresse entre les familles rivales et la notre : moi.

Ma fille vint toucher mon poignet et me conseilla de me ménager, même si elle estimait ne pas être un exemple à suivre car elle avait lu toute la nuit. Je laisse échapper un triste sourire et réponds : Tu sais bien que je ne peux pas, mon ange. Il y a beaucoup à faire. Je peux cependant m'accorder quelques minutes... Non ? Voire une heure. Je pourrais toujours le rattraper sur mon prochain temps de repos. Je laisse de la place à ma fille, écartant ma maigre carcasse pour lui permettre de s'allonger à mes côtés. Elle posa sa tête sur ma poitrine. Je commence à piquer du nez, abattu par ma propre fatigue. Je sens les bras de ma fille qui se resserrent contre moi, et cela m'encourage d'autant plus à prendre quelques minutes de repos. Sa présence, réconfortante, me soulage un peu et je parviens à dormir pendant un court instant.

Je rouvre les yeux quelques minutes après les avoir fermés et j'interroge ma fille sur un sujet qui la concerne directement : l'école, les devoirs. Elle me répondit qu'elle n'en avait pas beaucoup, contrairement à ses cousins qui en avaient beaucoup plus. Elle me dit cependant qu'elle avait réussi tous les devoirs en classe, y compris ceux de potions, où elle avait eu un optimal. Je laisse échapper un petit rire sarcastique. Ainsi donc, ce maudit serpent était capable de donner des bonnes notes. Cela me tue de l'avouer, mais je lui en suis reconnaissant. Je pensais qu'il jugerait ma famille d'emblée à cause de notre rivalité, mais il passe outre et se contente de les noter en fonction de leurs capacités. Je devrais prendre exemple sur lui... Bah, en fait non, je n'ai aucun soucis avec ses enfants après tout, j'agirais comme lui si j'avais été à sa place.

Du bout des dents, je replace le bracelet en cuir qui recouvre une autre de mes cicatrices et je demande ensuite à ma fille : Et avec tes amis, ça va ? J'ai entendu parler d'un certain... @Grant Malcolm . Que pense tu de ce garçon ?

Ma petite Rowena est vraiment un rayon de soleil parmi tout ces nuages.

Je regrette sincèrement de ne pas avoir assisté à sa naissance. Ce n'était pas de ma faute, certes, mais, tout comme mon père avant moi, et comme pour la naissance d'Aiden, j'aurais aimé aviser le ciel, au moment où son premier cri a percé l'air de Brocéliande. J'aurais aimé pouvoir sentir les pierres du château vibrer, entendre les tuiles claquer, les fenêtres grincer pour saluer la venue au monde de ma petite. Le jour de ma propre naissance, mon père a regardé par la fenêtre, et il a entendu une meute de loup, qui erraient dans la forêt de Brocéliande, hurler à la lune. Il m'a baptisé comme ce noble animal. Pour la venue au monde de mon petit frère, il a aperçu un splendide lever de soleil qui ressemblait étrangement à une illustration d'un ouvrage sur le roi Arthur. Le choix du nom a été vite décidé. Enfin, voilà que je me perds... Ma fille m'apporte tant de réconfort, et je regrette de ne pas avoir pu voir le ciel quand elle est née, je suis certain qu'il devait être magnifique, clair et sans nuages. Ma petite me dit, sur un ton compatissant, qu'il n'était pas facile d'être comte et que toute la famille pensait à moi et m'aimait.

Je repense à Aiden, à son regard noir, à ses reproches, et je me dis que Rowena est bien loin de la réalité. Aiden m'en veux, même si j'ai pu le calmer en lui proposant de prendre sa décision fin janvier. Aiden m'a terriblement déçu. Il ne se rends pas compte de la chance qu'il a. Il voit mon titre et mes responsabilités comme une charge, comme une plaie, il ne voit que les mauvais côté de la vie d'un Comte. Il ne pense qu'à lui, qu'à son petit confort, et cela me déçoit. Je l'ai trop choyé, trop gâté. J'aurais dû commencer à le préparer bien plus tôt. Je me maudis pour ma bêtise. J'ai hâte de connaître la décision de mon fils. Il l'ignore sans doute, avec son égo concentré sur sa petite personne, mais il a tout l'avenir du comté entre les mains. Je soupire doucement, le regard dans le vide, ne voyant pas ma fille entourer mon cou de ses bras et coller sa joue contre la mienne. C'est bien son geste ça, c'est tout elle, elle est la seule à se comporter ainsi envers moi. Ma petite dernière est de la même trempe, même si elle semble quelque peu intimidée en ma présence. Elle me regarde avec de grands yeux ronds, emplis de curiosité et d'apréhension. Ma petite Rowena est un cas bien à part. Je souris en chassant les mauvaises pensées.

Je lui demande alors de me parler de Grant Malcom, dont la meilleure amie de Rowy, Luncinda, m'a récemment mis en garde. Rowy me dit que c'était un bon ami, qu'il était intelligent et qu'il l'aidait à réviser. Étrange. Je fronce les sourcils et réponds : "D'accord... Merci pour ta réponse ma chérie." Je passe un bras autour d'elle et la serre doucement contre moi. Je lui demande ensuite, avec un petit soupir : "Ne me quitte jamais ma Rowy, et ne change jamais..." Elle est l'un de mes plus grands soutiens, même si elle en a pas forcément conscience

Avais je été aussi innocent durant mon enfance ?

Je ne m'en rappelle même pas. Mon père a commencé à m'apprendre à diriger le comté à l'âge de... Sept ou huit ans. Avant cet âge là, je n'ai que de vagues souvenirs flous du sourire de ma mère, du rire de mon frère, de nos courses poursuites dans les couloirs de Shanagan. Mais c'est tout. Après cela, tout n'a plus été que travail, devoir, valeur et acharnement. J'ai été offert au comté, je suis devenu son bras, son cerveau, son âme et son cœur. Dès l'âge de raison, j'ai cessé d'être un enfant, et pas un seul instant je ne l'ai regretté tant je me sentais grand et fort... Je ne l'ai jamais regretté jusqu'à la naissance de mes propres rejetons. Quand je les vois, si innocent, si naïfs, j'en viens à me demander si j'ai été comme eux. J'ai l'impression d'avoir grandi dans un autre monde, d'avoir été un tout autre garçon. Rowena semble vivre dans un paradis fait d'arc en ciel et de nuages en guimauve quand je la regarde et quand je l'écoute parler.

Je ne peux m'empêcher de la serrer contre moi. Elle n'est pas seulement l'un de mes piliers, elle est également l'âme de mon enfance depuis longtemps disparue, elle est celle que j'aurais du être étant enfant, elle est celle qui me rattache à ce monde si beau que j'ai vu devenir si froid au fil des ans. Elle sembla s'inquiéter de mes paroles et me dit qu'elle serait toujours là pour moi. Elle me demanda si mon coeur était fatigué et me proposa de me raconter des histoires ou de me parler de ses amis. Je souris et embrasse doucement sa chevelure. D'un mouvement lent, je me glisse sous son épaisse couverture et je lui souffle: Te souviens tu de l'histoire du petit faon blanc ? Celui qui avait perdu sa maman et avait été recueilli par l'entièreté de la forêt de Brocéliande ? Te souviens tu de cette histoire ma chérie ? Je cligne des yeux, soudain fatigué. Elle a raison, je suis épuisé. Je crois que... Je crois que je vais dormir un peu. Juste avant de sombrer, je lui souffle : Nous irons le voir demain... Elle devait se douter que ce cerf existait, mais je ne lui avais jamais vraiment avoué la vérité, afin de la faire rêver. Ce cerf est aujourd'hui le seigneur des bois de Brocéliande, le deuxième roi de ces lieux, après moi. Je vois dans ses yeux l'âme de mes terres, de mes ancêtres, ainsi que les sourires de ceux que j'ai perdu.

Tout en m'endormant, je me laisse bercer par la voix de ma fille, et je compte bien me laisser un peu de temps. Le comté peut bien attendre quelques heures.