Après ce qu’elle venait de vivre, il y avait une personne à qui Amelia devait absolument parler et de façon assez urgente. C'était Jesse, son filleul et la première personne qu'elle ait jamais considérée comme son enfant. C'était la raison pour laquelle elle l'avait invité ce soir au manoir et non à la pension comme elle aurait pu avoir l'habitude de le faire dans le passé. Elle voulait un cadre privé et intime pour lui avouer cette part de leur histoire qui n'avait rien de très glorieux, même si Jesse connaissait parfaitement le niveau de la famille en ce qui concernait ce genre de coup fourré.

Elle n'avait pas eu l'occasion de voir son filleul depuis longtemps et elle n'avait donc pas pu lui parler des révélations qu'on lui avait faites sur la réalité de la naissance de son bébé. Il ne savait pas que des recherches avaient été entreprise et en plus, il allait falloir lui annoncer qu’elles avaient donné des résultats. Le point positif de tout cela, c'était que la chose la rapprochait de Adriano, ce qui devrait faire plaisir à Jesse qui n'avait jamais apprécié les sentiments que sa marraine avait développé pour celui à qui elle avait offert sa loyauté. Il trouvait que cet homme abusait de la situation, même si Amelia reconnaissait en elle-même que c'était elle qui lui donnait beaucoup plus que ce qu'il lui demandait.

En attendant l'arrivée de son filleul, la Winchester été allée chercher une bouteille de vin adaptée à la circonstance qu'elle avait mis à décanter. C’était le travail de Istvan, normalement, mais elle lui avait donné sa soirée, ainsi qu’aux autres employés de maison car elle voulait vraiment être seul avec son filleul pour lui apprendre cette nouvelle. C'était un moment qui n'était dédié qu'à la famille et les autres membres de cette famille concernés,  il les côtoierait plus tard. Bien entendu, pour Amelia, Istvan faisait partie de la famille. Mais il était déjà au courant, puisque c'est lui qui avait trouvé ce secret. Il n'avait donc pas besoin d'en être informé.  

Seule à la maison, Amelia attendait donc patiemment l'arrivée de son filleul pour lui apprendre qu'un nouveau membre venait d'intégrer la famille. Ignorant comment il allait prendre la chose, elle était un peu nerveuse et sa fille dut le sentir car elle se mit à babiller à son intention. Attendrie, la mère prit son enfant dans ses bras et songea que rien ne pourrait se passer mal puisqu'il s'agissait d'une discussion avec son fils chéri. C'était ce qu'elle devait retenir.

Amelia était tout particulièrement nerveuse. L’heure approchait à laquelle Jesse devait arriver et il n'était jamais en retard. Mais ce qu'elle avait à lui annoncer était quelque chose de particulièrement énorme et elle ne savait pas exactement comment il allait réagir. Il ne savait même pas qu'elle avait été enceinte à plusieurs reprises, même s'il était au courant qu'elle ne pouvait actuellement plus avoir d'enfant. Amelia avait toujours voulu protéger son filleul des tourments de la famille, sachant qu'il en avait vécu plus qu'à son tour. Mais aujourd'hui, cela restait une bonne nouvelle.

Elle l'entendit appeler depuis l'étage où elle se trouvait à penser à sa fille. D'une certaine façon, c'était de réfléchir où elle la ferait dormir ou comment elle l'installerait, qui lui permettait de se projeter dans l'avenir de mère, et qui lui permettait également de considérer la situation un peu différemment. C'était tellement troublant qu’elle mit une seconde avant de descendre rejoindre Jesse. Il se trouvait à proximité de son bureau et elle arriva derrière lui, mais pas suffisamment discrètement pour lui faire peur. Elle n'avait pas envie de lui causer un choc avant même qu'ils se soient dit bonjour.

« Bonjour, Jesse, comment vas-tu aujourd’hui ? » demanda-t-elle avec un sourire malicieux qui invitait à la tendresse.

Elle n'allait pas lui assener tout de suite cette nouvelle qui, bien que grande, avait quelque chose de choquant. Ce n'était pas comme ça que les choses fonctionnaient entre eux. De toute façon, il valait mieux qu'il soit assis avec un verre pour accuser le coup d'avoir une cousine en vie. Et si elle était tout à fait honnête, Amelia aurait plutôt dit une sœur qu'une cousine, mais ce n'était pas à elle de décider du lien qu'il y aurait entre les deux jeunes gens. Ce serait à eux de le construire mais elle espérait que ce serait plutôt positif. Elle l’entraîna donc jusqu'au petit salon et s'avança vers le bar.

« Que veux-tu boire ? »

Dans toute cette folie que représentait actuellement sa vie, Amelia savait qu'il n'y avait rien de plus classique qu'une soirée à boire un verre et à discuter en compagnie de Jesse. Il était l'un des rares éléments stables de son quotidien et maintenant que tout était en train de se bouleverser, elle ne pouvait pas s'empêcher de trouver rassurant la présence du jeune homme. Elle avait mis du temps avant de reconnaître à quel point il était désormais un fils pour elle et encore plus à se rendre compte à quel point il la soutenait désormais, presque autant qu’elle l’avait protéger dans le passé.

Elle songeait à cela en le regardant affectueusement, remarquant de petites traces de fatigue, même s'il disait aller bien. Il ne mentait pas forcément. Elle avait déjà vu ce genre de stigmates après des nuits un peu folles avec un amant un peu fougueux. Et même si ce n'était pas le cas, il ne serait pas illogique qu'il ait beaucoup de travail à cette période de l'année, étant donné qu'il travaillait dans une infirmerie. Ca ne voulait pas dire qu'il y ait lieu de s'inquiéter, même s'il était exceptionnel que Amelia ne s'inquiète pas du tout du bien-être de son fils de cœur. C'était le lot de toutes les ta mères, après tout.

« Ca va. J'ai l'impression de vivre à cent à l'heure ces derniers jours,  mais ça va. Enfin, du moins, je pense que cela ira. »

C’était un peu confus, mais tout s'éclairerait bientôt et au moins, elle commençait plus ou moins à aborder le vrai sujet. Elle ne voulait pas sauter à pieds joints dans la mare on lui disant tout de suite tout ce qu'elle avait découvert, il fallait reconnaître que c'était quelque chose qu’elle allait avoir du mal à formuler. En plus, elle voulait le faire de la bonne façon car il n'était pas question que Jesse se sente lésé ou remplacé. Lui et Natasha étaient deux membres de sa famille, ses deux enfants et il lui importait qu’ils le restent tous les deux, dans leur vie et leur cœur. Alors qu'elle lui servait à boire, il demanda où était Istvan en plaisantant sur le corps d’éphèbe de leur amant commun. Amelia sourit doucement. S'il y avait bien une chose qui ne l'avait jamais dérangée, c'étaient les rapports qu'entretenaient les deux hommes.

« Il a juste pris sa soirée. C'est à dire qu'il tenait à me faciliter les choses. Je tenais à être seule avec toi ce soir pour ce dont je devais te parler. Cela dit, je dois reconnaître que c'est grâce à lui que j'ai eu le fin mot de l'histoire. »

Amelia savait qu’il y avait une épidémie de rhume qui parcourait le monde de la magie avec une certaine influence sur les pouvoirs magiques des gens. Évidemment, comme pour tout virus, les plus jeunes étaient susceptibles d'être plus facilement touchés. La pension avait elle-même eu son lot de jeunes filles passant leur temps à éternuer et nécessitant des soins. À la pension Winchester, les élèves n'étaient pas assez nombreuses pour que cela pose de réels problèmes, mais Jesse était infirmier à Poudlard et il était évident que son travail ne devait pas être simplifié avec une telle épidémie.

« Tu dois être bien fatigué, mon garçon, à devoir gérer tout ça. Mais je suis convaincue qu'ils sont conscients de la chance qu'ils ont d'avoir quelqu'un pour s'occuper de tout. Ménage-toi quand-même. Je ne voudrais pas que tu tombes malade à ton tour. »

Il devait bien se douter qu'il y avait quelque chose là-dessous, rien que du fait qu'elle avait voulu le voir seul à seul sans son majordome. Tous deux étaient pareils, ils adoraient Istvan. Et il était clairement plus qu'un amant pour eux deux, il était devenu un membre de la famille. Elle n'était pas tellement surprise que la première chose à laquelle il pense, soit qu'elle ait été attaquée. Il y avait eu un précédent et elle ne s'en était pas sortie sans dommages. Il ne faisait aucun doute que cela avait marqué son esprit et qu'il ne tenait pas à la revoir dans cet état. Fort heureusement, la situation actuelle n'avait rien à voir.

« Non, rassure-toi, personne ne m'a fait de mal, du moins, pas récemment. C'est en rapport avec tes grands-parents. Je suppose que je ne t'apprends rien en disant qu'ils ont fait le nécessaire pour que je suive la voie qu'ils avaient choisie. Mais ce que tu ne sais pas, c'est que j'ai été bien plus loin dans la rébellion que ce que l'on pourrait penser. Pour être claire, j'ai failli m'enfuir avec un moldu. »

Irait-elle jusqu'à lui dire que ce moldu avait été assassiné par ses grands-parents ? Cela faisait partie de l'histoire de Natasha, finalement. Mais Jesse était-il prêt à connaître cet aspect si sombre de sa propre famille ? Il savait bien que les Winchester n’étaient pas des exemples de vertus et de respect des autres, mais elle n'était pas certaine qu'il ait conscience que le meurtre pouvait faire partie du tableau. Il valait mieux qu'il le sache pour qu'il puisse comprendre toute la portée de ce que la rencontre avec sa fille avait représenté pour elle et aussi la raison qui l'avait poussée à fuir la maison et l’avait amené à concevoir Natasha.

« Ton grand-père l'a tué sous mes yeux. C’était une exécution. Je n'ai rien pu faire, j'étais complètement impuissante. J'ai perdu son bébé, le bébé de Daniel cette nuit-là. J'étais si mal que j'ai absolument voulu les faire souffrir et j'ai fugué. Oh, je ne suis pas allé très loin, je me suis retrouvée dans un bar, j'ai bu et j'ai fait n'importe quoi. Je pense qu'il ne sera pas utile de te faire un dessin. Je suis tombée enceinte d'un parfait inconnu. Cette fois, je suis allée au bout de ma grossesse, bien cachée à l'abri des regards, là où on ne pourrait pas s'apercevoir de la honte qui devait être la mienne, selon mes parents. »

Elle ne parvenait toujours pas à croire combien ils avaient pu se montrer odieux. Vendre la chair de leur chair simplement parce qu'ils considéraient que l'enfant n'était pas digne de leur famille… mais il était inutile de lui infliger la douleur et la peine qui avaient été la sienne au moment où elle avait tout découvert. Il valait mieux en parler avec calme même si son cœur ne l'était pas du tout. Au fond, la fin de l'histoire était plutôt belle grâce à Istvan. Encore une chose qu'elle lui devait et elle ne pouvait nier qu'elle lui était vraiment extrêmement redevable pour tout ce qu'il avait fait un jour pour elle.

« J'ai reçu certaines… confidences, récemment. J’ai appris que cette enfant n'était pas morte comme je l'ai cru, comme mes parents me l'avaient dit. Ils l'ont vendue. Ils l'ont vendue à des bandits russes. Et je me suis juré de la retrouver et de la sortir de là, Jess. Et Istvan m'a aidé. Il a retrouvé sa trace et il m'a dit que je pouvais la trouver. C'est pour ça que je t'ai dit qu'il était concerné, je… je n'aurais rien pu faire sans lui. »