Pendant les vacances, comme d'habitude, tout le monde était réuni dans leur château d'Angleterre. Tous les cousins Emrys passaient leurs vacances ensemble sauf quand l'un d'eux était invité par un ami et passait quelques jours loin du groupe familial. Rowena profitait de chaque instant, d'autant que les vacances de Noël étaient courtes et intenses en émotion entre les soirées des uns et des autres et leur fête en famille. Elle trouvait tout de même du temps pour les activités qui lui plaisaient et avait notamment passé une nuit complète à lire un livre, ce qui n'avaient guère plu à ses parents.

Mais ce matin, elle avait décidé de se consacrer à Maelys. Paradoxalement, alors qu'elles étaient ensemble à l'école, elles ne trouvaient presque jamais le temps de se voir. Chacune avait ses amis avec qui elle passait du temps, ses cours et ses activités qui ne se correspondaient pas forcément. Le résultat, c'était qu'il pouvait se passer plusieurs semaines avant qu’elles ne trouvent du temps pour bavarder ou profiter de la compagnie de l'autre. Rowena ne pouvait pas dire que c'était une situation qui lui faisait plaisir et elle savait que ça ne faisait pas plaisir non plus à Maelys, mais autant profiter des vacances pour se retrouver et partager des choses ensemble qu'elles aimaient beaucoup. C'était l'avantage de faire ce genre de choses avec tous ses cousins.

Elle avait donc invité Maelys à faire de la musique avec elle. C’était une activité qu'elles partageaient régulièrement depuis qu'elles étaient petites. Le niveau d'éducation des deux fillettes avait impliqué la pratique de plusieurs instruments mais également le chant et la danse. La voix un peu désordonnée de Rowena, quand bien même elle était douce, ne se prêtait pas vraiment à un niveau de chant exceptionnel, mais elle était douée pour jouer du piano alors que Maelys préférait le violon. Rowena comptait lui proposer de jouer pendant qu'elle chantait et ensuite de faire un duo piano violon. Ce serait sûrement un moment formidable.

« Maelys ? Tu es déjà là ? » demanda-t-elle en s'approchant de la salle de musique du château familial.

Rien qu'en la voyant, Rowena pouvait parfaitement sentir que Maelys n'allait pas si bien qu'elle le disait. Mais il serait difficile de penser qu'elle irait parfaitement bien alors que son papa et sa maman étaient décédés depuis si peu de temps. Rowena était toujours là pour écouter ses proches quand ils avaient besoin de parler, mais elle n'aborderait pas un sujet aussi douloureux sans être sûre que sa cousine ait envie de se confier. Elle préféra la serrer si fort que la jeune fille ne pouvait que sentir à quel point sa cousine l'aimait. Ça, elle pouvait le faire sans la forcer à s'exprimer sur sa tristesse.

« Tu as bien raison de vérifier, c'est important d'avoir des instrument en bon état. »

Elle ne savait pas si sa cousine se sentirait actuellement en état pour chanter. Mais il suffisait de lui proposer deux options afin qu'elle puisse choisir celle qu'elle voulait. La fillette était totalement consciente qu'il était difficile à Maelys de parler de son chagrin. Elle n'avait jamais trop eu l'impression que sa cousine aimait avouer ce qu'elle avait sur le cœur et elle l'avait toujours respecté. Elle était d'ailleurs persuadée que son papa et sa maman prenaient bien soin de l'écouter quand c'était nécessaire. C'était sans doute plus facile de parler avec un adulte. Cela, Rowena pouvait le comprendre. Il ne lui restait plus qu'à jouer le rôle de la cousine mignonne et gentille, qui essaierait de la faire rire et de lui changer les idées.

« J'avais pensé que je pourrais jouer du piano pendant que tu chantes, à moins que tu ne veuilles absolument entendre ma voix, mais je ne suis pas sûre que tu mérites que je t'inflige cette torture », dit-elle en riant. « ou sinon, si tu préfères, on peut juste jouer ensemble. »

Elle ne savait pas ce que Maelys allait préférer pour commencer mais elle s'adapterait. Elle était même prête à lui laisser choisir ce qu'elle avait envie d'interpréter parce que vu son état d'esprit, elle allait avoir besoin que cette séance de musique l'aide à apaiser ses tourments. Rowena savait que ce ne pourrait pas le faire complètement, mais le pouvoir de la musique était puissant et elle était convaincue que cela pourrait aider sa cousine au moins un peu. Elle n'aimait pas la voir aussi triste mais elle savait que c'était un passage obligé.

Maelys était particulièrement soigneuse avec son matériel et ses instruments et clairement, Rowena savait qu’elle devait prendre exemple. Le piano ne s’entretenait pas sans l’aide d’un professionnel, et donc elle avait moins l’habitude de devoir vérifier elle-même son instrument, mais ça restait une bonne chose d’avoir cette habitude en tête. Il fallait reconnaître aussi que sa cousine pouvait être très intense dans son jeu et que casser des cordes ne serait pas tellement étonnant quand on jouait avec une telle passion. Mais c’était ce qui faisait que la Poufsouffle adorait entendre sa cousine et encore plus jouer avec elle. Elle l’admirait donc.

« C’est déjà arrivé quand tu jouais trop intensément », nota-t-elle donc.

La fillette avait bien compris que sa cousine n’était pas en grande forme et cela lui fut confirmé quand elle refusa de chanter. Ce n’était pas qu’elle ne puisse ne pas vouloir chanter en temps normal, mais à entendre le son de sa voix, il paraissait certain que la jeune fille ne se sentait pas de mettre ses émotions actuelles dans sa voix. Pourtant, quand elle mis sa décision sur le compte de ne pas avoir sa voix échauffée, l’enfant sourit et parla d’une voix infiniment plus douce qu’elle ne le faisait en temps normal, dénué de toute folie ou de toute exagération.

« Je comprends, ne t’en fais pas. »

Elle ponctua même sa phrase d’un câlin supplémentaire, persuadée que ça serait bien pour Maelys. Elle fut contente de l’avoir fait lorsque Maelys exprima son choix quant à la musique qu’elle avait envie de jouer. Rowena connaissait bien l’émotionnel de la sonate au clair de lune et elle avait du sens pour la Serdaigle aussi. Mais il n’était pas question de le lui refuser. Elle savait combien sa cousine en avait besoin en ce moment, et elle était toujours d’accord pour lui donner son soutien d’une manière ou d’une autre. C’était souvent Maelys elle-même qui choisissait ce qu’elle voulait de chacun.

« Avec plaisir ! Ce n’est pas la sonate super importante pour ta meilleure amie ? C’est ce que tu disais, non ? »

Rowena n'était pas une experte dans l'usage des instruments de musique. Pourtant, elle savait fort bien que la plupart des cordes des instruments concernés avaient besoin de puissance et d'expérience extraordinaire pour en venir à casser, sauf dans un cas où elle serait vieille et usée, état dans lequel Maelys pourrait parfaitement en venir à en casser une, étant donné la qualité et la puissance de son jeu. Mais il était bon que cette cousine vérifie à quel point son instrument était en bon état avant de commencer à partager de la musique avec elle. Il y avait moins de risques qu'il ne s'abîme.

« Oui, je sais bien, mais justement, tu as raison de vérifier l'état de ton instrument, étant donné que tu serais capable de casser des cordes pour peu qu'elles soient fragiles. Je suppose que tu préfèreras toujours faire tout ton possible pour éviter que ça ne se produise. Moi, je n'ai pas ce genre de problème avec le piano. »

Elle n'était pas non plus une joueuse aussi avancée que sa cousine. Non seulement elle n'avait encore que douze ans et s'estimait encore dans les débuts de son apprentissage, mais la musique était moins un art d'expression pour elle que pour sa cousine. Rowena avait plutôt tendance à raconter ses histoires et à parler avec volubilité quand elle ne se sentait pas à l'aise avec quelque chose. Si ce n'était pas toujours un moyen idéal pour faire en sorte que quelqu'un vous écoute, cela avait un certain mérite de permettre à son interlocuteur de savoir précisément les troubles qui la préoccupaient. C'était plus compliqué avec Maelys.

Elle se souvenait que l'air que sa cousine avait envie de jouer avec elle était l'air préféré de sa meilleure amie. Évidemment, cela voulait forcément dire qu'il était spécial pour Maelys aussi. Rowena aurait parfaitement pu le deviner et en avait pleinement conscience, mais elle savait aussi que c'était le genre de choses que sa cousine aimait partager avec elle. Maelys aimait jouer les airs qui lui parlaient le plus avec toutes les personnes qui lui étaient chères, et le fait qu’elle lui demande était significatif. Par voie de conséquence, cela lui faisait extrêmement chaud au cœur. Elle allait évidemment accepter, ce n’était pas une question.

« Je serais ravie de la jouer avec toi. »

Mais lorsqu'on pratiquait ce genre de musique avec quelqu'un comme Maelys, on ne faisait pas que jouer et évidemment, Rowena pouvait facilement entendre et ressentir les troubles qui peuplaient l’âme de sa cousine alors qu'elle jouait. Elle avait l'impression que son propre jeu ne faisait qu'accompagner sa cousine au niveau émotionnel et tout en jouant, elle perçut tellement de troubles et de peine chez Maelys que des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Entre deux accords, elle parvint à essuyer ses yeux pour éviter de ne plus réussir à voir la partition. En arrivant à la fin du morceau, elle ne savait même pas comment aborder ce qu'elle avait ressenti, tellement c'était fort.