Comme d’habitude depuis Mikko avait été attaqué par le loup-garou et était dans le coma, Maëlys passait absolument tout son temps libre auprès de lui, ne s’absentant de l’infirmerie que pour assister aux cours, d’une oreille distraite bien malgré elle – il serait toujours temps de rattraper son retard, avec l’aide d’Elizabeth et des professeurs les plus compréhensifs qui pourraient sûrement entendre qu’elle n’ait pas la tête aux cours au vu des circonstances – ainsi que pour se forcer à manger quelque chose, l’appétit complètement coupé par la panique. Pourtant, chaque jour qui passait, elle s’efforçait de faire bonne figure, de ne pas fondre en larmes en public. Elle racontait ses journées à son frère, espérant qu’il l’entendrait que sa voix pourrait contribuer à le ramener parmi eux. Et elle lui lisait des contes. Elle avait tout de même pris le temps de faire un passage-éclair par la bibliothèque pour avoir de quoi lire à son frère. Elle passait tant de temps auprès de lui qu’elle essayait de réviser ses cours à l’infirmerie et y faisait ses devoirs. Elle lisait ses cours à haute voix, interrogeait son frère – même s’il ne pouvait répondre – quand l’ombre d’un doute planait sur une réponse qu’elle devait fournir. Et il était absolument inutile d’essayer de la convaincre de prendre du temps pour elle. Déjà parce qu’elle était têtue et faisait passer son prochain – et encore plus sa famille – avant elle et était assez têtue dans son genre. Mais aussi parce qu’elle en aurait été actuellement parfaitement incapable. Et si par le plus pur des hasards, elle y parvenait, elle se le reprocherait…
Elle ne vit cependant pas arriver son oncle, s’étant éclipsée l’espace d’un instant et seulement parce qu’elle n’avait pas eu d’autre choix.

Quand elle revint, son oncle qui était aussi son parrain se trouvait-là, au chevet de Mikko. Elle se retrouva bien vite dans les bras de Loup et s’y blottit, comme une enfant même si elle n’en était plus une. Mais, d’abord le décès de ses parents, maintenant son cher grand-frère dans le coma, c’était largement plus qu’elle ne pouvait en supporter. Même avec Loup et Mikko, elle évitait le sujet de l’incendie. Pas parce qu’elle ne voulait pas leur dire ce qu’elle ressentait – quoique peut-être aussi un peu -, mais surtout parce qu’elle n’y arrivait pas, ne pouvait pas le formuler. Et n’avait pas pris conscience de son état. Comment aurait-elle pu dire ce qu’elle ne s’avouait pas à elle-même ?
Enfin, toujours est-il que là, elle était à la limite de l’implosion.  Dans un état de panique tel qu’elle n’en avait jamais ressenti de pareil. Et ce n’était pas comme d’autre peurs qui peuvent s’affronter en s’y confrontant – pas forcément avec succès -. Là, elle ne savait comment gérer celle-là ni comment l’exprimer autrement que par des larmes.

« Tonton… » murmura-t-elle alors qu’elle se trouvait dans ses bras.

Puis, il l’interrogea sur son état et bien qu’elle ne parvint pas réellement à répondre directement à la première question, les larmes qu’elle avait réprimées jusqu’alors commencèrent à couler tandis que sa voix se brisait :

« Je… »

Un silence, puis elle reprit d'une toute petite voix, ayant pris un peu plus de temps qu'à l'accoutumée :
« Et toi, tonton, comment vas-tu? »

Après un nouveau silence coupé seulement par les larmes, elle reprit :

« Je ne peux pas honnêtement te dire que j’ai beaucoup d’appétit, mais je mange. Ça n’aidera ni Mikko ni notre petite sœur, ni Rowy ni Aiden si je me retrouve ici parce que j’aurai fait un malaise… » lui répondit-elle, en français.

Ce n’était effectivement pas pour elle qu’elle se montrait sage et raisonnable, mais pour toute sa famille, parce qu’elle estimait que c’était elle que revenait la responsabilité de veiller sur tout ce petit monde.

« J’ai si peur tonton… Grand-frère va se réveiller, hein ????!!! Je crois que… je ne pourrais pas le supporter sinon » finit-elle, avant que ses larmes ne s’accentuassent bien malgré elle, et utilisant toujours le français.

Même si elle se doutait que son oncle s’inquiétait aussi pour Mikko et que ce n’était pas la voir s’effondrer maintenant qui pourrait l’aider lui, elle avait aussi vaguement conscience que c’était lui l’adulte. Et il était aussi la seule personne à laquelle elle pouvait actuellement se confier.
Pas qu’elle pensât que personne ne lui prêterait une oreille attentive, mais elle ne voulait pas inquiéter davantage les plus jeunes, ni être un poids pour qui que ce fût. Il serait toujours temps de dire le strict nécessaire aux professeurs et à ceux de ses amis qui pourraient l’aider à rattraper le retard qu’elle prenait immanquablement en n’arrivant pas à se concentrer quand elle aurait justement retrouvé sa capacité de concentration. Du moins était-ce son point de vue sur la question.
Son monde à elle aussi s’effondrait complètement et elle avait l’impression qu’il ne tenait qu’à un fil qu’elle ne tombât dans un gouffre sans fond dont elle ne saurait remonter. Ce fil, c’était entre autre l’espoir de voir son frère se réveiller.

Maëlys s’était donc blottie dans les bras de son oncle et parrain lorsque celui-ci la serra contre lui. Par la même occasion, elle perçut les larmes qu’il versait. Bien que sensible et repérant donc la tristesse de Loup, son état ne lui permit pas de pousser l’analyse jusqu’à comprendre qu’il éprouvait également des remords. Pas plus qu’elle ne fut capable d'identifier le sentiment de culpabilité qu’il éprouvait.

« J’arrive… pas vraiment… à bien me reposer ces jours-ci… où que je sois… Et je veux être là à son réveil… J’ai l’impression que le fait que je sois à ses côtés, bien que je ne puisse pas vraiment l’expliquer, peut l’aider à s’en sortir » répondit-elle, pas du tout décidée à quitter le chevet de son frère pour autre chose que des cours ou d’absolues nécessités. Non seulement elle restait près de lui pendant tout son temps libre, mais elle dormait également auprès de lui. De toute façon, être dans son lit dans son dortoir n’aurait rien changé à la qualité de son sommeil, puisque c’étaient l’angoisse ou encore les mauvais souvenirs liés au décès de ses parents qui la travaillaient, l’empêchant d’avoir des nuits sereines et récupératrices.

Après avoir tenté vainement de lui répondre sur le chapitre de comment elle allait, elle lui retourna la question. Elle ne fut pas complètement convaincue par la réponse qu’il lui donna, d’autant moins qu’elle avait repéré sa tristesse. Et puis, elle-même faisait de son mieux pour cacher l’étendue de son état psychologique aux autres élèves, aux professeurs, alors, elle repérait que quelque chose sonnait faux dans la réponse de Loup.

« J’espère bien qu’au bout du compte, tu tiendras le coup, tonton, mais tu es triste. Et tu as le droit aussi de t’effondrer par moments, que tu sois adulte n’y change rien » manifesta-t-elle son inquiétude pour lui au milieu de ses larmes.

S’inquiéter pour ses proches… Depuis que Mikko était dans le coma, elle ne faisait que ça, jour après jour, heure après heure, minute après minute et seconde après seconde.

Lorsqu’un moment plus tard, elle s’effondra de plus belle dans les bras de son oncle, manifestant sa peur que son grand-frère ne se réveillât point, elle s’accrocha à lui de toute ses forces. Jusque-là, elle avait fait en sorte de préserver autant que possible une certaine image, ne s’était complètement laissée aller ni à son chagrin ni à son angoisse, mais maintenant que les vannes étaient ouvertes, ce n’était pas facile pour elle d’arrêter de pleurer.

« J’espère… Je me raccroche à cette idée… Et à l’idée que l’infirmière est optimiste quant au fait qu’il se réveillera… Mais, plus les jours passent, plus je me pose de questions… Et puis, ça ne doit pas être très bon pour lui que ce coma se prolonge… » continua-t-elle.

Elle pleura encore un moment dans les bras de son oncle avant de trouver la force de commencer à se reprendre.

Maëlys avait fait de mieux jusque-là pour se rendre en cours, même si elle n’y avait pas la tête, même si elle n’arrivait pas à se concentrer dessus et même si elle devenait bien trop fatiguée pour être efficace. De sorte que la proposition de son parrain la soulagea. Elle devrait de toute façon rattraper son retard.

« Oui, je tiendrai le coup. Tu pourrais, Tonton ? Ça ne te dérange pas ? J’avais déjà prévu de bien retravailler les cours de début janvier avec l’aide d'Elizabeth et des professeurs qui le voudront bien puisque je ne suis de toute façon pas du tout concentrée en classe… Et ça me rassurerait, oui, de pouvoir être tout le temps auprès de grand-frère. »

Après cet échange, elle s’était intéressée à comment allait son parrain, d’autant plus qu’elle avait perçu sa tristesse. S’il ne pensait pas avoir le droit de flancher, alors, elle ferait la seule chose qu’elle pouvait pour lui. Le soutenir lui aussi de toutes ses forces. Pour les siens, elle estimait que ses forces n’avaient pas de limites. Et de l’affection, elle pouvait toujours lui en offrir. Alors, elle le serra fort contre elle avant de répondre, avec un mélange de sérieux et d’affection :

« Je sais que je suis encore jeune, mais, tu peux compter sur moi tonton »

S’il refusait de s’effondrer, alors, elle l’aiderait à garder le cap qu’il s’était fixé, elle le soutiendrait pour qu’il puisse tenir debout sans avoir à se reposer sur ses seules forces.

Après s’être, de son côté, écroulée dans les bras de Loup, elle avait exprimé toute son inquiétude concernant Mikko. Et elle écouta les paroles rassurantes de son parrain.

« C’est sûr pour la grasse matinée » admit-elle avec un pâle sourire.

Puis, son parrain lui tendit de nouvelles cordes pour son violon.

« Merci beaucoup tonton ! Il était temps que je change ses cordes ! Oui, je vais le chercher, c’est une excellente idée ! »

Tout comme Loup, s’il y avait quelque chose qui pouvait l’aider à exprimer ses émotions, c’était justement la musique et surtout son violon. Elle alla donc le chercher, non sans passer par les toilettes les plus proches pour se laver le visage et n’y laisser aucune trace de sa crise de larmes. Elle revint bientôt avec son violon, cordes changées. De retour à l’infirmerie, elle passa de la colophane sur son archet et réaccorda son instrument.

« Tu as une préférence ? Ou sinon…. »

Elle savait quels airs étaient en phase avec son humeur du moment, mais ce n’étaient pas forcément ceux les plus susceptibles d’aider son grand-frère pensait-elle. Alors que jouer son air préféré…. Cela pouvait être un appel à se réveiller, non ?

« L’artiste préféré de Mikko, c’est Jason Mraz et je sais qu’il aime notamment beaucoup "I’m yours". Ça serait une bonne idée de lui jouer ça… » suggéra-t-elle.

Maëlys avait donc accepté avec soulagement la proposition de son oncle de la dispenser de cours le temps que Mikko se réveille. Comme elle le lui avait dit, elle était certaine que sa meilleure amie l’aiderait à rattraper le retard qu’elle prenait de toute façon.

« Merci tonton » fit-elle simplement.

Après avoir fait un énième câlin à son oncle et reçu avec plaisir de nouvelles cordes pour son violon, elle avait adhéré à son idée de jouer pour Mikko. Elle était donc revenue avec son instrument, doté des nouvelles cordes et l’avait accordé en lui suggérant un air qu’aimait particulièrement son grand-frère.

« C’est Mikko qui me l’a fait découvrir. Sinon, personnellement, je vais plus vers Beethoven, Chopin, Tchaikovski ou encore Mozart, Vivaldi, Mendelssohn… »

Et ce n’étaient que quelques exemples parmi tant d’autres. Son répertoire musical au violon était très étendu et passait également par du Schubert ou du Strauss. Sa spécificité était d’être principalement axée sur la musique classique au violon. Pour la musique folklorique qu’elle appréciait aussi fortement, elle allait plus souvent vers la guitare. Même si elle savait que certains airs de musique folklorique se mariaient très bien avec le violon.

Et elle commença donc à jouer le morceau que Mikko aimait tant. Elle avait appris à le jouer, pour pouvoir le lui interpréter s’il le souhaitait. Elle était confiante quant à la capacité de son oncle pour l’improvisation. Vu son état émotionnel, elle aurait fort bien pu trembler, mais elle se maîtrisa, attaqua fermement, jouant de manière à faire ressortir toutes les émotions du morceau. Elle y mettait également tout ce qui lui pesait. Il lui semblait parfois qu’elle s’exprimait bien mieux avec son violon qu’avec les mots. Elle restait attentive au jeu de son oncle, pour s’y mêler avec harmonie. A part cela et sa volonté d’atteindre son frère, de partage avec lui, elle oublia tout ce qui les entourait. Il n’y avait plus que Mikko et les deux violons. Finalement, ils arrivèrent à la fin du morceau et Maëlys laissa la dernière note s’éteindre.