Le temps était tout aussi maussade que ses pensées. La pluie ne cessait de s’abattre sur le sol dans un fracas sonore, qui la hanterait certainement pendant plusieurs jours. Les clapotis sont habituellement de délicieuses mélodies qu’elle se plaît à écouter par plaisir de quiétude. Mais néfaste écho à son esprit embrumé, Astrée se met en quête d’un silence bien moins terrifiant que l’orage qui s’apprête à menacer les cieux. Les idées fusent ; son esprit s’échauffe, tellement que de la fumée pourrait sortir de ses oreilles sans que le monde sorcier ne soit surpris par cette apparition soudaine et miraculeuse. Elle fait le tour de son appartement ; puis un second ; puis elle finit par arrêter de compter. Ses pas l’aident à structurer ce qu’elle doit faire. Les minutes défilent, s’emmêlent : son crâne manque d’exploser. La sorcière se surprend même à ronger sa précieuse manucure. Elle se sentait atrocement seule : n’ayant aucun véritables amis sur qui compter, alors qu’elle avait une liste criarde de conquêtes en tout genre. Peut-être qu’elle aurait dû en parler à l’une de ses sœurs autour d’un thé entre deux engueulades et enveloppes d'argent données. Mais aucune de ses quatre soeur n’aurait réussi à trouver les mots adéquats ou la rassurer, toutes auraient eu ce même air réprobateur avant de lancer un “tu répètes le même schéma que maman”. Triste et véridique. Enfin, non. Astrée, elle, avait au moins le mérite de ne pas être naïve et de ne pas trop s’attacher. Alors dès que la soirée a pointé son museau, elle transplane vers le seul qui peut lui proposer un semblant de stabilité. Le seul qui ne fuira pas de suite, la seule et unique chance pour que son happy ending ait enfin lieu. Frappant à la porte, celle-ci finit par s’ouvrir.

Elle le jauge d’abord silencieusement. Ce matin encore, elle était devant son miroir à imaginer quels discours lui faire. Astrée se voyait encore réciter les phrases parfaites et soigneusement choisies avec l’espoir de le faire céder, de lui apporter des arguments, ou pire encore le faire céder par le chantage. Mais en voyant son visage, en voyant se straits soignées où se lisait des marques empreintes de fatigue à cause de son travail malmené ; en songeant qu’il n’était peut-être pas le père parce qu’elle avait du mal à supporter de s’endormir sans une présence à ses côtés quitte à s’enflammer avec des mystérieux inconnus douteux ; en songeant qu’elle ne voulait pas être seule, plus jamais seule… Elle eut la terrifiante envie de pleurer. Des larmes agaçantes qu’elle retenait, et qui menaçaient de s’écouler d’un battement de cils. Astrée avait le désir brutal de retourner dans les bras de sa mère, et d’y rester jusqu’à ce que le problème s’efface et n’existe plus. S’effacer, se déconnecter de cette réalité qui sortait de sa zone de contrôle. Détestant ne pas tout maîtriser au peigne fin, Astrée avait l’impression que le sol cherchait à l’avaler toute entière.

« Est-ce que je peux rentrer ? » elle finit par demander d’une petite voix, tentant d’aviser s’il y avait une quelconque silhouette derrière lui.

C’était tout le problème d’ailleurs : elle n’était pas sa petite-amie. Elle n’était pas sa femme, encore moins sa fiancée. Astrée devait être invitée pour pouvoir rentrer : ce logis n’était pas le sien, il n’était pas le leur. Ils n’habitaient pas ensemble, ils ne s’aimaient pas : ou du moins pas de la bonne manière. Ils se détruisaient probablement, puisqu’elle était aveuglée par le désir brutal de cette famille tant rêvée qu’elle en avait perdu le fil. Qu’est-ce qu’elle pouvait ressentir envers Marcus, au juste, si ce n’était pas du confort et de la sécurité ? Il était attractif, elle se voyait sans mal passer sa vie à ses côtés, se lover dans un canapé avec lui avec un thé à la main. Pourtant, il lui avait maintes et maintes fois répété qu’ils ne seraient jamais parents. Alors, ce rêve idéal de leurs pieds entrelacés au réveillon n’était pas réalisable. Astrée courrait après une proie qui s’apprêtait à se faufiler : sauf que cette fois-ci, elle n’avait pas le courage de lui courir après. Mais il y avait ce besoin irréfutable de l’avoir lui, de graver sa présence contre son corps pour qu’il vienne la rassurer dans de jolis murmures. Elle avait mis les moindres choses de son côté : une robe pourpre et hivernale épousait sa silhouette, alors que du maquillage soulignait ses traits naturellement attirants.

« Assis-toi, je t’assure, ça sera mieux. »

Les mots ne veulent jamais quitter ses lèvres. Pourtant c’est simple à dire “je suis enceinte”. Ce ne sont que quelques mots fugaces, des syllabes faciles à prononcer. Mais sa gorge semble étrangement nouée : l’inquiétude, l’appréhension. Même ses jambes peinent à vouloir à ce qu'elles tiennent debout tant elles semblent être en coton.

Quel terrible mois que celui-ci.

Au dehors, il pleuvait des cordes. Marcus était rentré un peu plus tôt de mission. Il avait ouvert le robinet pour y plonger ses phalanges écorchées sous l'eau froide. Sa main droite tremblait encore. Il avait donné tant de coups à ce maudit braconnier pour lui faire avouer un camp situé au coeur de la forêt interdite, qu'il entendait encore les gémissements de celui-ci. A la façon Moldu. Parce qu'ils ne savaient pas être mieux traités que des chiens. Opal se tenait à ses côtés, considérant son maitre d'un air larmoyant.

- Sans vouloir t'offenser mon brave.

Il sourit à son Berger Suisse, puis tendit sa main droite en direction des torchons suspendus un peu plus loin. D'un mouvement efficace du poignet, un torchon blanc se décrocha comme par enchantement et atterri d'un battement de cil dans sa main. Il sécha ses blessures, imbibant le tissu de sang.

La pluie martelait les carreaux de sa cuisine. Dehors, il faisait sombre. D'un claquement de doigts, il alluma les trois petites lampes de son salon et se laissa tomber lourdement dans un fauteuil en tissu beige. Le salon était bordé de grandes bibliothèques pleines de livres et de bibelots qu'il avait ramené de ses nombreux voyages. On pouvait encore y voir quelques photos de ses anciens camarades de Poudlard, ou de lui et Betty. Quelques plantes tombaient mollement de leurs pots trop petits. Marcus attrapa la Gazette du Sorcier et poussa un grognement bestial, tandis qu'Opal logeait sa tête sur son épaisse cuisse. Il lui gratta le sommet du crâne.

- Au moins toi tu as une vie bien tranquille. Ces pauvres créatures ne méritent pas ça ...

Quelqu'un frappa à la porte. Il n'attendait personne. Surtout par ce temps. Marcus posa le journal sur la table basse du salon, puis se leva. En passant dans le couloir de l'entrée, il attrapa sa baguette magique qu'il fourra dans la poche arrière de son pantalon. Il pouvait apercevoir une silhouette sombre derrière les vitres de la porte d'entrée. Suspicieux, il était sur ses gardes, prêt à Stupéfixier le premier venu.

Mais quand il ouvrit la porte, il fut surpris de voir Astrée sur le seuil, vêtue d'une belle robe pourpre et hivernale.

- Astrée ? Heu ...oui, bien sûr. Entre.

Il tendit un bras de bienvenue, puis en refermant la porte derrière elle, vérifia que rien de louche ne trainait dans la nuit noire. La pluie rendait la visibilité nulle, malgré les lampadaires allumés. Pas un chat dans la rue par un temps pareil.

Il la suivit dans le salon et Astrée l'invita à s'asseoir. Marcus n'en fit rien, préférant se diriger vers sa cuisine ouverte sur le salon et le semblant de salle à manger. Marcus vivait dans une petite maison d'un quartier huppé de Londres. Même s'il gagnait bien sa vie au sein du Ministère, son salaire n'aurait jamais pu lui permettre de s'offrir une telle maison. Elle était petite, mais pour espérer avoir plus grand à Londres, il fallait détenir une fortune colossale. Hors Marcus avait simplement hérité de ce bien immobilier dont il ne pouvait se passer. Avoir un jardin était un luxe inédit et important pour Opale.

Il fit allumer du feu sous une bouillir, puis fit léviter deux tasses de thé sur le comptoir de la cuisine. L'ambiance était chaleureuse et cosy dans cette maisonnette Londonienne. On pouvait encore déceler une décoration féminine, passage de Betty dans la vie récente de Marcus. Ils avaient divorcé depuis peu et elle n'était jamais revenue récupérer ses affaires. Du moins, la décoration qu'elle avait imposé dans cette maison. Il sourit à Astrée, heureux de la voir chez lui ce soir.

- Tu tombes bien. Je me sentais seul et Opal me faisait les yeux doux pour que j'aille le sortir malgré ce temps. Du thé vert ou noir ?

Il ne s'imaginait pas un seul instant de la bombe qu'allait lui lâcher Astrée. Pour lui, elle venait comme d'habitude, pour assouvir un besoin dont ils exprimaient de temps en temps l'envie. Se retrouver dans des draps chauds et balayer leur solitude dans une étreinte rassurante.

L’endroit ne lui est pas suffisamment familier : une autre femme a capturé les lieux de son essence. Astrée ne tarde cependant pas à suivre l’auror vers sa cuisine ouverte, bien qu’elle ne tarde pas à s’asseoir sur l’une des chaises pour qu’il puisse l’imiter. Face à l’annonce qu’elle va faire et la teneur de ses propos. L’inquiétude est tellement immense… la sorcière craint qu’il se défile, qu’il la laisse salement tombé en l’accusant de ne pas avoir été suffisamment vigilante. Peut être qu’il lui demandera d’élever l’enfant seule, ou pire encore, lui demander de ne plus croiser sa route. La médicomage n’est pas une nerveuse : c’est une impulsive rêveuse, proche de ses sous, qui préfère souvent passer au dessus des inquiétudes en trouvant très vite les solutions adéquates. Voilà des lustres que son coeur n’avait pas battu aussi vite et que ses mains étaient aussi moites. La dernière fois qu’elle avait été aussi stressée, c’était la veille de l’obtention de son diplôme.

« Thé vert, s’il te plaît. »

Elle voulait sentir l’amertume du thé entre ses lèvres, la chaleur brûler sa gorge. Astrée est venue dans la précipitation, brûlée par l’espoir de trouver une solution à ce problème noueux. Astrée est alors bien pensive, son regard parcourant les lieux avec curiosité. La jeune femme savait pertinemment qu’elle voulait être mère, c’était la suite naturelle des choses. Elle voulait des petits enfants à chérir, dorloter. Des petits poupons qu’elle comblerait d’amour, bien qu’elle serait armée de nombreuses exigences. Mais maintenant ? Un enfant n’était pas dans ses projets de suite : elle avait l’argent, l’espace de l’acceuillir, et un coeur grand ouvert pour l’y accueillir. Mais la médicomage n’avait ni le temps, ni le mari pour épauler sa future condition de mère. Astrée tombe alors sur l’une des photos avec Betty, qu'elle attrape dans ses mains et jauge. Il n’avait pas encore effacé sa présence, etty était encore trop présente… Astrée craignait qu’elle n’ait marqué de ses ongles la peau de l’auror pour y marquer son territoire : renforçant l'illustre besoin de la médicomage de le posséder. Ce qu’elle faisait là était un parfait coup de poker : c’était tout ou rien. Le rêve brisé ou des jours heureux. Alors, elle rabat la photo sur le meublier : la photo face au sol pour qu’elle n’ait pas à la voir dans sa vue.

« Est-ce que tu l’aimes encore ? »

Les mots sont fâcheux, la discussion est délicate. Mais après la crise de jalousie de la dernière fois, Astrée estimait qu’elle avait le droit de se montrer un brin possessive à son tour ; désarmée par la jalousie. En toute sincérité, elle se moquait bien de la jolie Betty : Astrée avait bien plus de choses qu’elle n’en aurait jamais. La médicomage était plus jolie, avait plus d’argents, était plus intelligente. La seule chose qu’elle n’avait pas, c’était la bague au doigt que Marcus lui avait cédé. Et cette simple pensée donnait l’envie à Astrée de se transformer en harpie. Attrapant la tasse offerte, elle plonge ses lippes dans le liquide brûlant, avant de chercher le regard du concerné. Sérieuse, la jeune femme détestait tourner autour du pot, si bien qu’elle ne tarde pas à le prévenir de la tournure que prenait la discussion.

« J’ai quelque chose à t’annoncer. »

Astrée sort de son sac une potion : puis mettant la baguette dans sa bouche, elle finit par tremper sa salive dans le petit pot ; de nombreuses bulles vertes formant un “félicitations” tragique finissent par en sortir au contact de sa salive, évocateur de sa grossesse. Le test de grossesse était positif.

Elle s’était installée à l’une des chaises, dardant Marcus d’un regard presque provocateur. Aimait-il encore Betty ? C’était une question qu’Astrée avait le droit de poser. Sans doute avait-elle trop retardé son regard sur la photo les représentant. Il n’avait eu ni le courage, ni le temps de refaire la déco. Une partie de Betty siégeait encore entre ses murs, malgré le divorce et les disputes. Ca faisait un moment que Marcus était passé à autre chose. Mais il n’avait tout simplement pas le temps de changer son intérieur. Et puis, il s’était fait à cette déco. La photo en faisait partie, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. Il ne la remarquait plus.

Il versa l’eau chaude dans une théière moderne et ouvrit une petite boite métallique dont les effluves d’un thé vert particulièrement amer s’en dégagea. Il attrapa délicatement du bout de ses doigts plusieurs poignées de thé, qu’il positionna soigneusement dans une boule de thé métallique. Il ne supportait pas le thé en sachet tout préparé. Trois minutes d’infusion. Et pendant ces trois minutes, Astrée lui demanda s’il l’aimait encore. Etonné par cette question, Marcus leva un sourcil circonspect et se mit à sourire d’un rictus révoltant.

« Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? »

Il se moquait ouvertement d’Astrée. Par ce temps de chien, il fallait bien donner un peu de couleur à cette soirée. Mais la jeune Magicomage n’était pas là pour rigoler. Il se contenta de rebondir d’un air las, en plaquant ses mains sur le plan de travail.

« Non, je rigole, évidemment … Tu sais très bien comment ça s’est terminé. Betty et moi, c’est de l’histoire ancienne. Cette photo fait partie du décor, j’avais totalement oublié qu’elle était là tient ! »

Un sourire plus tendre se dessina entre ses lèvres. Malgré la pluie, malgré le froid et la nuit, Astrée se découpait parfaitement dans cette lumière tamisée. Marcus n’aimait pas les lumières vives. Il vivait dans une sorte de cocon à lui. Une tanière plongée dans une douce lumière orangée, qui ne permettait pas toujours de bien voir où étaient les choses. Mais avec la magie, un simple sortilège d’attraction permettait de tout retrouver.

Enfin, il versa le thé vert bien infusé dans deux tasses et en tendit une à Astrée.

« Tiens voilà ton thé. »

Elle plongea ses lèvres dans le liquide chaud. Et Marcus ne put s’empêcher de capturer cet instant. Elle assise sur une chaise, en face de lui, ses lèvres posées sur le rebord de cette tasse sombre. Le rouge laissera probablement une légère trace. Elle n’était pas du genre à trop se maquiller. Enfin, elle revint au galop. Marcus but une gorgée de son thé, posa la tasse sur le plan de travail et croisa ses gros bras d’un air interrogateur. Qu’avait-elle bien de si urgent à lui dire ? Elle sortit de son sac une potion. Chose peu étonnante connaissant le personnage.

Puis rapidement, Marcus comprit. Il comprit qu’il s’agissait d’un test de grossesse et qu’Astrée était enceinte. Il écarquilla les yeux, sans réellement comprendre ce que cela signifiait.

« Oh … okey … heu … félicitations ... j'imagine ? »

Etait-elle enceinte de lui ? Impossible. Ils avaient pris toutes les précautions, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Pourquoi diable venait-elle chez lui annoncer ça ? Il préférait se mettre des œillères, plutôt que d’accepter la situation. Mais peut-être qu’il se faisait un film pour rien. Qu’elle avait simplement besoin de lui annoncer la nouvelle, parce qu’elle était proche de lui.

« Qui est le père ? » demanda-t-il alors que se formait des noeuds dans l’estomac

L’aveu lui fait l’effet d’une chute. Astrée était tombé d’un arbre une fois, gamine. Elle était montée particulièrement haut, avait lamentablement chuté, et le contact avec le sol lui avait coupé le souffle. Sa réaction est résolument similaire. Ses sourcils se froncent et ses traits se durcissent, gravant un regard particulièrement froid vers le concerné. Si elle craignait tant la réponse, pourquoi l’avoir posée ? Il y a un moment de latence douloureux, d’attente fébrile : ses doigts se sont machinalement serrés, cherchent un peu de réconfort dans l’étreinte du tissu de sa robe épaisse.  Il l’aime encore ; le sérieux dont il fait preuve ne parvient pas à lui trouer suffisamment le cœur. Mais ça laissera probablement une lacération, une marque vicieuse.
Pourtant ses muscles se dénouent aussitôt qu’il se met à rire. Relâchant la pression, une subite colère remonte dans sa gorge face au culot de l’auror. La jeune femme ne tarde pas à le fusiller à nouveau du regard, la mâchoire particulièrement crispée. Le soulagement escompté n’est pas suffisant pour passer outre de la haine qu’elle a ressentie à l’égard de cette inconnue dont l’esprit flottait encore trop autour de Marcus.

« Et ça t’amuse de rigoler avec ça ? »

S’il lui demandait, elle remettrait la faute sur sa grossesse et les hormones. Avoir une discussion sérieuse était pénible avec lui. Il trouvait toujours des excuses, arrivait constamment à se faufiler, s’énervait pour rien. Pourquoi s'obstinait-elle à le vouloir lui, alors qu’il lui envoyait constamment des signes contradictoires ? Quel culot de lui faire cette blague alors qu’il s’était insurgé la dernière fois pour Bane… Sa voix, particulièrement sèche se veut délibérément agressive. Agacée de ne jamais pouvoir poser les mots et s’expliquer, elle secoue la tête lorsqu’il demande qui est le père. Astrée était venue avec la potion, elle semblait au bord du désespoir, et il osait lui demander qui était le père ?

« Vraiment, Marcus ? »

Il était si futé ; un auror particulièrement doué connu pour ses missions et ses stratégies à toutes épreuves… visiblement pas suffisamment  intelligent pour deviner l’évidence qui se posait sous ses yeux. La sorcière commençait à perdre les derniers fragments de patience qui lui restait. Irritée, son monde semblait s’écrouler… et Marcus était la seule et unique chose pouvant la rattraper. L’unique pilier, l’unique front pour qu’elle ne plonge pas dans la noirceur de ses pensées qui lui hurlait que son joli rêve s’apprêtait à s’arrêter.

« De qui peut-il être, à ton avis ? »

Il y a comme un léger déchirement dans sa voix. De la peine qui s’emmêlait à sa colère si vive, si grisée, qu’elle peinait à voir autre chose. La sorcière était tellement habituée à tout maîtriser, à tout contrôler jusque dans les moindres détails. Elle contrôlait ses calories, les moindres poussières sur ses meubles, l’ajustement de ses décorations au millimètre près. Ce bébé sortait de nul part, déviait sa trajectoire… elle ne l’avait pas attendu avant quelques bonnes années le temps que son prince charmant l’intercepte.

« Tu penses que je viens te l’annoncer pour te demander d’être le parrain ? Il serait temps de se connecter à la réalité. » elle a un petit rire déluré.

Elle le jauge d’un regard acéré, avant de rouler des yeux : puis prend quelques bonnes gorgées de son thé pour faire disparaître l’amertume. Le liquide lui brûle la gorge, mais elle se sent d’autant plus vivante. Ne devait-elle pas arrêter le thé avec le bébé ? Un profond soupir quitte ses lèvres,

« C’est toi le père, Marcus… » elle aborde, d’une voix plus douce.

En toute sincérité, elle n’en avait aucune idée. Les dates semblaient coller, mais il n’était pas le seul. Pourtant, c’était le seul et unique à être potable.. Uns des seuls capable de la faire vibrer, et jusqu’à preuve du contraire… elle ne s’était pas encore lassée.

Elle n'était pas là pour rire. Et la petite boutade de Marcus ne l'amusait pas du tout. Dommage. Il n'en prit pas compte, car les sautes d'humeurs d'Astrée, il en avait l'habitude. Combien de fois l'avait-elle envoyé une godasse à la figure pour un mot de travers ? Les femmes étaient toutes beaucoup trop sensibles. Surtout celles qui espèrent passer la bague au doigt et que l'autre se défile à chaque fois. Un sourire taquin au coin des lèvres qui s'évapora bien rapidement. L'annonce fut un véritable choc.

Bien sûr, au fond de lui, Marcus s'en était douté. Elle n'avait pas frappé à sa porte un soir pluvieux, posé ce flacon sur la table et sortit un test de grossesse pour lui annoncer être enceinte sans qu'il n'en soit le père. Il n'était pas idiot. Mais il jouait à l'idiot. A celui qui ne veut pas voir, ne veut pas entendre, ce que ce bout de femme veut lui dire. Car c'était probablement la pire chose qu'il pouvait lui arriver. Affronter des mages noirs, des créatures de l'ombre, des braconniers et des Trolls enragés, n'était rien face à ce qu'elle venait de lui annoncer.

Marcus resta pantois. La tasse de thé entre ses mains, on pouvait entendre la pluie frapper contre les carreaux de la cuisine. Opal leva sa tête blanche vers Astrée, ouvrit grand la gueule, puis reposa son museau humide sur ses pattes. Le grand et ténébreux Marcus Hawks ne savait plus comment réagir. Astrée avait le don de lui couper la chique. Il reposa doucement la tasse sur le plan de travail et passa une main sur son visage.

- Je suis père ?

Un peu abasourdi, il s'assit sur la chaise qui se trouvait en face d'Astrée. Il n'était ni heureux, ni affolé, ni en colère, ni triste. Il ne savait tout simplement pas ce que cela signifiait. Ce qu'il devait faire ou dire. Puis doucement, il leva ses yeux bleus vers Astrée.

- Waow ... tu es sûre qu'il est de moi ? Enfin ... si tu es là, c'est que tu es sûre. Question stupide ... Je ... c'est assez soudain. Je ne m'y attendais pas du tout ... je pensais qu'on se protégeait.

Pas toujours, hélas. Il arrivait que dans leur fougue, ils rentrent d'un restaurant un peu saoulent et que Marcus arrache les vêtements d'Astrée sans penser aux protections. Astrée avait réussi son coup. Dire que l'Auror avait tout fait pour éviter de fonder une famille ... parce qu'il connaissait les risques de son métier et qu'il ne souhaitait à aucun enfant d'être orphelin d'un père. Mais visiblement, Astrée n'y songeait guère.

- Que veux-tu faire ? Le garder ?

Il avait espoir qu'elle ait réfléchit à leur situation et qu'elle n'en veuille pas vraiment. Mais c'était un maigre espoir. Illusoir même. Et Marcus était prêt à jouer son rôle de père s'il le fallait vraiment. Mais au fond, il n'en voulait pas vraiment. Il voulait simplement l'entendre dire qu'elle souhaitait cet enfant. Et qu'il ne s'agissait pas là d'une simple ruse pour attraper Marcus dans ses filets.

- Parce que si tu le gardes ... je te promets de jouer mon rôle de père. Je veillerais sur cet enfant ... et sur toi. Mais tu sais également les risques de mon métier. Ca risque de changer pas mal de choses. Entre nous également. Ca voudrait dire ; fonder une famille, un foyer. Que je m'installe chez toi, ou que tu viennes ici.

Oui, Marcus voyait le côté pratique. C'était bien beau d'annoncer qu'un bébé allait venir dans ce monde dans quelques mois. Mais étaient-ils un foyer ? Comment allaient-ils gérer la chose ? Astrée voulait-elle toujours se marier ? Etait-elle au moins heureuse ? Marcus l'aimait, mais il avait peur de l'engagement. Peur de prendre autant de responsabilités. Mais ce gamin était en train de pousser dans le ventre de la Magicomage et il était trop tard pour faire marche arrière. Alors il affronterait sa peur en se conduisant comme un homme.

- Es-tu heureuse ?

Il s'était approché d'elle. Doucement. Il avait envie de glisser sa main sur son épaule, lui poser un baiser dans le creux de sa nuque, lui faire l'amour toute la nuit. Mais il sentait de l'électricité dans l'air et préférait rester prudent. De peur qu'elle le griffe au visage. Il sentait qu'elle avait une colère sauvage en elle, tout ça à cause de cette maudite photo de Betty.

En tout cas, ça allait réjouir la mère de Marcus d'apprendre qu'elle allait enfin devenir grand-mère de son fils adoré. Elle qui désespérait tant.

La seule chose qu’elle perçoit sur ses traits fatigués et soucieux, c’est la surprise qui vient creuser ses commissures et pouvoir son visage de plis incrédules. Astrée ne parvient pas à savoir s’il est heureux, ou résolument triste à l’idée que sa vie soit ainsi changée par une simple annonce. La médicomage craint la fatalité, elle craint que ce petit bout vivant en elle ne soit la cause de sa prochaine chute. Forcément ; c’est apr la surprise qu’il lui répond, avec une incrédulité presque touchante : était-ce idiot de sa part d’avoir espéré qu’il saut de joie et hurle à plein poumon ? Au fond la jeune femme était toujours une gamine rêveuse avec beaucoup d’espérences : elle pensait aux pailettes, aux éfes, et à ce prochain prince charmant qu’elle commençait à retrouver dans la silhouette musclée et rêche de son auror favori. Néanmoins, face à sa question, elle est hésitante. Elle connaît déjà la réponse, la sorcière y a longuement réfléchi : c’est avec lui, ou non.

« Je veux le garder. »

La brune jauge silencieusement sa réaction, gravant son regard vers sa stature dans l’espoir qu’il ne se faufile pas. Mais tout l’agacement qu’elle a gardé en elle, qui a grandi dans sa poitrine, s’effrite à mesure qu’il propose d’emménager ensemble et de former… une famille. Astrée le prend comme une invitation à former à nouveau un couple. Elle retient entre ses lèvres un petit cri de victoire, imaginant sans mal leur prochaine petite vie parfaite avec un tas de golden retriever, des enfants, et beaucoup d’argent. Avec une piscine et des sièges pour pouvoir bronzer et entretenir son teint hâlé. Mais sa proposition d’emménager ensemble lui insuffler une autre idée : une question dissimulée, celle de se remettre ensemble. Enfin, du moins officiellement.

« Que dirais-tu de venir chez moi ? D'ici quelques mois, le temps de s’habituer… à tout ça. »

La médicomage concède, même si elle aurait adoré sauter sur place comme une petite gamine. Mais dans l’espoir de préserver sa dignité elle se contente d’un grand sourire en signe de sa joie ; elle ne souhaitait pas emménager de suite avec lui. Pas tant qu’elle n’avait pas caché tout ce qu’elle devait cacher. Quant à vivre chez lui, hors de question de s’installer dans un endroit qui n’avait pas de salle de potions appropriée. Quant à si elle était heureuse ? Son coeur gonflait de joie, mais elle se laissa aller vers une simpliste vérité.

« On va être les meilleurs parents. Sévères, mais justes. Mais sévères, hors de questions qu'ils mangent un tas de cochonneries. Je croise les doigts pour que ce bébé ne tue pas ma silhouette parfaite. » elle lâche un petit rire.

Si elle avait su qu’il lui fallait un bébé pour réussir à enfin séduire le grand Marcus aux épaules larges et à la barbe taillée… elle se serait arrangée bien plus tôt pour qu’elle tombe enceinte. Par des moyens détournés afin de la capturer, l’enfermer peu à peu dans sa toile. En parfaite prédatrice, elle l’aurait gardé contre lui, l’enchaînant peu à peu avec de nouveaux bambins et de nouvelles responsabilités pour qu’il ne s’échappe jamais de son emprise et du pouvoir qu’elle aurait sur lui grâce à leur petite et future famille. Alors, désormais elle se laisse aller contre lui. Contre son torse, ses larges épaules, et ses bras qui l’entourent. Une énorme bouffée d’affection remplit sa poitrine. Sa colère s’est évaporé maintenant que ses désirs les plus profonds prenaient forme.

« J’espère qu’il aura tes yeux. Qu’est-ce que tu préfèrerais, un garçon ou une fille ? »

Son regard vient machinalement s’accrocher au sien, prête à partager énormément avec lui. Son avenir, sa retraite, tous ses maux. Un jour ils allaient se marier, et ce jour-là, il deviendrait la personne la plus importante de sa vie.

« Et si on allait fêter ça..? »

Une petite voix charmeuse entre ses lèvres, elle relève son menton pour y déposer un baiser fugace, laissant une marque rouge dans son sillage. Ses doigts se glissent dans les siens, imaginant sans mal la suite de la soirée : petit restaurant -sans verre de vin à cause de sa nouvelle grossesse-, puis dès qu’ils rentreraient, une fois la porte fermée, elle viendrait l’étreindre avec vigueur, avant d’enlever les boutons de sa chemise un à un.

Dehors la pluie tombait si drue qu'il était impossible de voir les maisons en face. On pouvait entendre chaque goutte marteler contre les carreaux de la cuisine ou ruisseler sur les tuiles en ardoise. Le coeur de Marcus sembla s'arrêter dès qu'Astrée prononça son souhait de garder l'enfant. Il était tiraillé entre l'envie de la prendre dans ses bras, la serrer fort contre lui et fuir. Il savait très bien dans quoi il s'engageait. Et l'idée de fonder une famille, même si elle était alléchante en plus d'être avec un si jolie femme, ne l'enchantait que moyennement. Car son métier était cruel et qu'il pouvait très bien disparaitre du jour au lendemain. Combien d'enfants orphelins avait-il vu durant sa carrière ? Bien sûr, dans le monde magique, le danger était partout. Omniprésent. Mais pour un Auror, il était bien plus grand. Parce qu'il s'exposait au danger de façon quotidienne.

Il ne voulait pas que le petit embryon niché dans le ventre d'Astrée devienne un jour un enfant, puis qu'à l'aube de ses 11 ans, on lui annonce que son père s'est fait tuer en mission. Car malgré les apparences, Marcus n'était pas infaillible. Mais si Astrée souhaitait garder l'enfant, alors il ferait tout pour subvenir à son besoin. Marcus ne se disait pas qu'elle avait gagné. Ou réussi à obtenir quoique soit de lui. Parce qu'il n'était pas dans l'optique de la fuir. Il aimait Astrée. Du moins, il aimait cette relation bancale qu'ils entretenaient depuis des années.

Elle proposa qu'il vienne s'installer chez elle dans quelques mois. Automatiquement, le regard de Marcus se posa sur Opal. Quitter cette maison. C'était un crève coeur. Elle était très bien située, possédait un micro jardin et des parcs se trouvaient à deux pas d'ici. Un luxe pour une ville comme Londres où tous les logements étaient hors de prix. Cette maison appartenait à la famille Hawks depuis plusieurs générations. Et Marcus serait peut-être le premier à la céder à un Moldu ou un sorcier. Il pourrait se faire quelques millions en la revendant. Mais c'était également de nombreux souvenirs qui partiraient en fumée. Et puis, si ça ne fonctionnait pas la vie à trois ?

- Heum ... oui pourquoi pas. Il faut que je réfléchisse. Est-ce que je vends cette maison ? Ou est-ce que je la mets en location ... les murs sont imprégnés des esprits de ma famille depuis des générations.

Il eut un petit sourire au coin des lèvres. Il aimait voir Astrée aussi joyeuse. C'était devenu quelque chose de rare. Elle ne souriait que pour le séduire, l'attirer dans son lit et lui faire l'amour. Le reste du temps, ils se prenaient la tête pour des broutilles. Tout ça, parce que Marcus ne cédait jamais à ses avances. Mais aujourd'hui, il avait franchi un cap. Malgré lui.

- Je suis certain qu'il ne t'arrivera rien. Tu es parfaite et tu le resteras.

D'un regard doux et compatissant, il considéra la Médicomage avec une soudaine envie de l'embrasser. Mais il resta en retrait, observant son ventre avec un intérêt tout particulier. Un enfant ... c'était une drôle d'étape dans une vie. Il s'occupait de jeunes adolescents dont la vie avait privé les parents. Alwyn Manderville et Gregory un jeune garçon un peu rebelle dont il n'arrivait pas à faire grand chose. Mais son propre enfant ? Aurait-il plus l'apparence d'Astrée ou plus la sienne ? Égoïstement, Marcus imaginait un mini lui. Un garçon.

Doucement, il se colle à elle. Ca le réconforte dans un certain sens. Ses bras noueux massent lentement les épaules d'Astrée et elle se colle instinctivement à son torse. Elle se retourne, ils s'enlacent et Marcus l'observe d'un sourire tendre. Elle n'a plus les traits tirés par la colère. A force de froncer les sourcils, elle risquait d'affirmer la ride du lion. Et Marcus la préférait sans rides. Belle et souriante. Jeune et fraiche comme la rosée du matin. Son pouce vint crasser les commissures de ses lèvres.

- T'es tellement belle quand tu souries. Moi j'espère qu'il ou elle aura tes lèvres. Et pour ce qui est de ma préférence ... je n'en ai pas. J'imagine avoir un mini moi, un petit garçon à qui je pourrai apprendre tout ce que mon propre père ne m'a pas appris ... mais ... je serais heureux d'avoir une fille également.

Oui, une fille. C'était aussi sympa dans l'idée. Il était certain d'en tomber amoureux, d'en devenir un véritable papa poule. Puis soudain, Astrée lui demanda s'il souhaitait aller fêter cette nouvelle. Une nouvelle qui scindait Marcus en deux. Il leva le regard vers la porte d'entrée. La pluie battait son plein, donc l'idée de sortir ne l'enchantait pas vraiment.

- Il pleut ... on pourrait fêter ça ici non ?

Un sourire malin se dessina entre ses lèvres et Marcus attrapa Astrée par les hanches d'une poigne ferme et sauvage. Il posa ses lèvres sur les siennes, épris par un désir profond de lui faire l'amour. Elle était si belle, si rayonnante. Il ne l'avait encore jamais vu ainsi. Et c'est dans le canapé du salon, sous une pluie diluvienne digne d'un mois d'octobre, qu'ils firent l'amour toute la soirée.