Une expiration suffit pour remplir ce vide d’une fumée qui virevolte jusqu’à disparaître. Non, elle perdure. Le miasme secrété de tes entrailles lui accorde la liberté de voler quelques instants durant. Après tout, il n’a jamais subsisté de gaz aussi toxique que le tien, cette valse de dioxyde de carbone fait pâle allure. Encore un peu, jusqu’à qu’il ne reste plus rien du poison tenu entre tes doigts, tu t’accordes ce moment d’arrêt, tu peux relâcher tes épaules, baisser ta garde. Quelques minutes seulement car ensuite, il est temps de retourner à la traque.

Un soufflement de nez ou plutôt, est-ce un rire ? Ta face habituellement limitée à une seule expression se délie pour afficher un rictus annonçant tout ce qu’il y a de plus mauvais. Cela faisait longtemps que tu ne t’étais pas divertie et grâce à ce parfait petit préfet, tu allais pouvoir te dérider un peu. A la pensée seule de l’aiglon corrompu par le mal, tu écrases ta cigarette encore allumée dans la paume de ta main. La brûlure causée ne t’arrache pas même l’ombre d’une grimace, ton sourire tombé en même temps que l’arrivée du torrent de pensées imprégné d’une haine viscérale. Si tu pouvais, tu lui arracherais son visage d’élève infaillible et prodigieux. La langue acérée, ta plus belle arme, tu n’avais pas manqué de l’humilier à la moindre occasion face à ses camarades de classe, de trouver la moindre brèche sur ses copies pour lui retirer des points. Tant que les autres élèves coulent parfois des regards entre eux, se demandant quel crime a-t-il bien pu commettre pour s’attirer les foudres de l’inexpressive. Regarde-toi à harceler un pauvre jeunot car son image reflète tout ce pour quoi tu étais tombée pour moi, ou plutôt mon masque.

La démarche chaloupée et expansive, tu ne perds pas de temps pour t’en aller rejoindre le bal masqué. Loin de vouloir y participer, tu feras tomber les masques ce soir. Les pas ralentissant et c’est au tour du chat noir de prendre le relai pour se faire discret. Adossée près de la porte, tu entends sa voix s’élever tel un chef d’orchestre guidant sa petite troupe ridicule et crédule. Balançant infamie après infamie, en passant par des offenses teintée d’une idéologie que tu pensais être disparue.
Luqi, n’oublie jamais, le rottweiler qui sommeille en toi. Le chat noir laisse place à la bête.

Dans les violons de la vie, tu fais ton entrée, applaudissant dans une aura funeste tout le spectacle auquel tu viens d’être témoin. “Effectivement monsieur Dunthorn, je vois à quel point votre pureté vous accorde le privilège d’étudier dans les copies minables que vous me rendez.” Quand il s’agit de décrire la médiocrité d’un élève, tu n’es pas du genre à louvoyer comme tu n’hésites pas à mentir. Ses notes étaient passables, non, il avait de très bonnes notes, du moins il aurait pu en être ainsi si tu ne cherchais pas la moindre occasion pour baisser son score final.

Tu t’avances, lentement, aussi lentement qu’il le faut pour imposer ta colère froide dans la pièce. Face à eux, tu t’arrêtes, les scrutes de haut en bas comme le ferait tout être supérieur face à ses subordonnés. Tu avais le don de faire sentir les autres inférieurs à toi. “Le crétinisme aberrant de ce que j’ai surpris ne m’étonne en rien de vous.” siffles-tu lentement en plantant tes deux poignards d’ébène dans le regard du préfet, lui transmettant ainsi tout le mépris que tu éprouves pour ce dernier. "Mais, je vous en prie, continuez, laissez-moi me délecter de votre bassesse et de ma supériorité." Sur ces mots, tu tires une chaise vers toi pour t'y installer, jambes croisées, les invitant à poursuivre.